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guerres galliques s’ébahissaient de voir des guerriers gaulois se mettre en état de complète nudité avant de marcher au combat. Quand les Gaulois apprirent à connaître le vin, ils firent ce que font aujourd’hui les sauvages à qui nous apportons l’eau-de-vie, c’est-à-dire qu’ils en burent immodérément et s’acquirent ainsi la réputation d’ivrognes incorrigibles. Pourtant lorsque César décrit les mœurs des Gaulois, il se tait de la façon la plus absolue sur ce prétendu vice national. Une chose plus étrange, quoique peu remarquée jusqu’à présent, c’est que les écrivains grecs, Aristote et Diodore entre autres, imputent aux anciens Gaulois un penchant prononcé pour le vice contre nature. Eusèbe de Césarée reproduit, en l’accentuant, la même accusation. Il est bien surprenant que ce soient des Grecs qui relèvent ce hideux trait de mœurs, tandis que les écrivains latins n’en font aucune mention. Probablement les premiers auront, avec leur insouciance de la vérité toutes les fois qu’il s’agit d’étrangers, tiré une conclusion beaucoup trop générale de quelques faits isolés. Peut-être, sur les bords du Danube et en Asie-Mineure, les mœurs plus rudes qu’efféminées des Gaulois se dépravèrent-elles au contact de la corruption ambiante. Ce qui est plus certain, c’est qu’à plusieurs reprises la Gaule souffrit d’un excès de population. Si l’on tient compte de l’état du territoire encore couvert en bien des endroits d’immenses forêts, la Gaule était relativement très peuplée (onze ou douze millions, d’après des calculs approximatifs) lors de la conquête romaine. La religion gauloise, cruelle, mais austère, ne connaissait pas les rites licencieux des cultes orientaux. Tout cela est bien contraire aux assertions des écrivains grecs. Ce qui n’est pas moins curieux, c’est de voir un savant allemand de nos jours, M. Kontzen[1], s’appuyer sur un passage de Julien où il est question de l’épreuve que les pères, très probablement germains, des bords du Rhin faisaient subir à leurs enfans nouveau-nés, afin de s’assurer de leur légitimité, pour déclarer que les femmes gauloises étaient légères, volages, coquettes, n’ayant aucune idée élevée de la famille, adultères sans cœur, libertines, etc. Comment donc se fait-il que Strabon les signale tout particulièrement comme épouses fécondes et excellentes nourrices? Comment de telles femmes, ainsi que cela est attesté en tant d’endroits, auraient-elles partagé avec leurs maris les durs travaux des champs et les dangers de la guerre ? Que « l’éternel féminin, » formulé par la riche expérience d’un poète qui n’était assurément pas de sang celtique, se soit manifesté dans l’ancienne Gaule, comme de nos jours, tantôt dans sa pureté et sa touchante beauté, tantôt avec ses faiblesses et ses ruses, là n’est pas la question; mais en vérité il faut pousser loin la gallophobie pour englober

  1. Die Wanderungen der Kelten, 74 et 90.