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et de lieu de réunion. À cette heure, la famille était assise autour de la table, le père, la mère et les sept enfans, depuis la fille aînée qui s’était levée pour nous ouvrir, jusqu’au dernier venu, petit garçon joufflu de près de trois ans. Leur repas consistait en une soupe au lait où le pain de maïs nageait par larges tranches. Tous du reste paraissaient jouir d’une excellente santé et d’un meilleur appétit. On m’offrait l’hospitalité; je bus seulement un verre d’eau et pris un morceau de pain ; puis de retour au rivage, étendu sur le sable et soigneusement enroulé dans le grand manteau d’ordonnance dont malgré mes protestations l’un des douaniers s’était défait en ma faveur, tandis que les deux braves gardons se promenaient de long en large, s’arrêtant parfois pour scruter l’horizon, je m’endormis à la douce clarté des étoiles, au milieu du grand murmure de la mer dont les flots mourans arrivaient presque à mes pieds.

Le lendemain, dès cinq heures, le passeur venait me prendre dans son bac et me déposait sur le quai de Zumaya, à l’autre rive du fleuve. La ville, assez proprette, ne manque pas d’une certaine animation en été, grâce à la proximité de l’établissement thermal de Cestona et aux visites des baigneurs qui, pendant la cure, s’y rendent en partie de plaisir. Là encore les vieilles maisons seigneuriales sont en majorité. On ne comprendrait guère aujourd’hui des gens, avec l’aisance et la position que cela suppose, se faisant construire un palais dans de pareils trous; mais à l’époque la séparation existait beaucoup plus tranchée entre les habitans de deux provinces ou de deux cités; les familles, même les plus riches, n’émigraient pas facilement, et chacune d’elles se perpétuait aux lieux mêmes de son origine. Au-delà de Zumaya, toujours suivant la côte, on trouve Deva, un peu plus considérable ; mais le port, formé par l’embouchure de la rivière, s’ensable chaque jour davantage, au désespoir des habitans, qui vivaient surtout de la pêche. Sur ce littoral, tout homme est marin en naissant, l’enfant nage presque avant de savoir marcher, et, plus que la terre elle-même, l’eau parait être son véritable élément. J’ai encore présente à mes yeux une petite scène maritime dont le hasard me fit témoin à Deva. Les garçons sortaient de l’école; ils avaient déposé à l’écart leurs livres et leurs vêtemens, et tous, debout sur la jetée, nus comme Dieu les fit, la peau bronzée par le soleil, dont les derniers rayons venaient mordre leurs reins et leurs cuisses, ils criaient, s’interpellaient tour à tour, comme les héros d’Homère avant le combat ; un peintre grec eût trouvé là le plus gracieux sujet de peinture décorative. Au signal convenu, ils plongeaient tous ensemble et disparaissaient sous les flots; celui qui ressortait le plus loin était proclamé