Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle-là ; avant d’être menée à bien, elle a exigé une dépense d’héroïsme obscur de plus de vingt années. Il fallait maintenir avec des forces insuffisantes la population des convicts, toujours prête, en ces commencemens mal assurés, à la violence, à la révolte et à l’évasion ; il fallait en même temps faire face aux bordes d’aborigènes qui venaient harceler de leurs attaques incessantes les fermes naissantes et les colons isolés ; par-dessus tout, il fallait lutter avec le terrible fléau de la famine, qui pendant cette première période sévit avec la plus désespérante continuité sur la jeune colonie. Les terres attaquées par la culture autour de Sydney donnèrent de chétives moissons, les quelques animaux domestiques importés furent volés ou tués par les noirs ; la colonie dépendait donc exclusivement de l’extérieur pour ses approvisionnemens, et un jour ou deux de retard dans les arrivages prévus, fait fréquent à cette époque, où la moderne régularité des transports était inconnue, mettait colons, convicts, garnison et gouverneur lui-même à la demi-ration. Ajoutez à tant de difficultés les dangers qui naissaient des moyens mêmes de salut par lesquels on avait espéré remédier à une partie de ces maux. Un corps militaire, connu sous le nom de corps de la Nouvelle-Galles du sud, fut envoyé par la mère-patrie dans le dessein de maîtriser l’élément convict et de subordonner le pouvoir politique du gouverneur à l’autorité militaire, mesure fatale et qui ne tarda pas à produire des résultats contraires à ceux qu’on attendait. Ce corps d’officiers devint un corps de tyrans et de concussionnaires, se fit octroyer les privilèges les plus exorbitans et les monopoles les plus ruineux pour la colonie, et se mit en opposition constante avec les gouverneurs, qu’il arrêtait et déposait au besoin de son autorité privée, si bien qu’il fallut à la fin le rappeler en Angleterre. Tant de luttes, de privations et de souffrances pour un établissement improductif, où le plus dur travail ne mettait même pas à l’abri des besoins les plus urgens, sans autre avenir apparent que celui d’une colonie pénitentiaire, réceptacle de tout ce que l’Angleterre vomissait d’impur et de souillé, il y avait là de quoi lasser les plus robustes courages ; les six florissantes colonies australiennes peuvent dire aujourd’hui si la ténacité anglaise eut raison de tenir bon contre tous les obstacles et de s’acharner à une tâche qui ne payait pas, pour employer le langage créé par nos habitudes industrielles.

Ce qui est non moins admirable que cette ténacité héroïque, c’es l’ardeur sans cesse renouvelée et l’esprit de suite avec lesquels les Anglo-Australiens ont poursuivi dès l’origine l’exploration du continent dont ils s’étaient constitués maîtres. Les voyageurs ont succédé aux voyageurs avec une continuité, et les découvertes aux découvertes avec un enchaînement qui ont effacé de cette œuvre