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éteignirent leur propre gloire pour ne pas en être frustrés. Ils ont mal réussi à la conserver, car aujourd’hui le seul de ces vieux navigateurs qui ait gardé une renommée véritable et vers lequel l’imagination se reporte avec plaisir est Abel Tasman, et cela grâce à une aimable légende d’amour, ce qui prouve bien que la poésie ne perd jamais ses droits et qu’elle est encore de beaucoup le meilleur passeport qu’un homme puisse se donner pour l’immortalité. Éperdument épris de la fille de Van-Diémen, le gouverneur d’alors des Indes hollandaises et le patron de son voyage d’exploration, Tasman, sous l’influence de l’astre d’amour, eut l’heureuse fortune de découvrir la vaste terre à laquelle il donna par reconnaissance le nom de son protecteur en réservant celui de sa bien-aimée pour une des plus jolies îles adjacentes, plus préoccupé qu’il était de faire vivre le souvenir de sa passion que celui de sa propre gloire. La postérité s’est chargée de le récompenser tardivement de cette amoureuse abnégation en lui restituant de nos jours sa gloire d’explorateur par l’échange du joli nom de terre de Van-Diémen contre celui non moins joli de Tasmanie. Un épisode trouvé à souhait pour fournir la matière d’un chant de futures Lusiades australiennes, si quelque Camoëns apparaît un jour dans ces parages !

Aux Hollandais, après un siècle d’explorations sans résultats, succédèrent les Anglais, et ceux-ci portèrent dans leurs entreprises un esprit diamétralement contraire à celui qui avait si mal inspiré leurs prédécesseurs. En 1770, Cook débarqua à Botany-Bay, parcourut une partie des côtes de l’est, et planta le drapeau anglais sur le sol, dont il prit d’emblée possession au nom de la couronne britannique. Quelques années après, il mourait, massacre à Otahiti durant son dernier voyage dans le Pacifique ; mais, avant de mourir, il avait eu le temps et l’occasion de conseiller à son gouvernement le choix de Botany-Bay comme colonie pénitentiaire pour les condamnés à la transportation, que la révolte des colonies américaines ne permettait plus alors de débarquer sur les rivages de l’Atlantique. La destination à donner à ces terres australes était trouvée, et, dix ans après la mort de Cook, le commodore Phillip, premier gouverneur de l’Australie, fut envoyé à Botany-Bay avec ordre d’y former un établissement pénitentiaire. Après quelque temps de séjour, Botany-Bay et les terres environnantes n’ayant pas paru réunir les conditions favorables, Phillip, remontant un peu plus au nord, fit halte sur un point de la côte, d’une rare beauté pittoresque, qu’il nomma Port-Jackson ; ce fut l’origine de Sydney.

Une fois établis sur ce point, les Anglais s’y cramponnèrent avec une énergie qu’on ne peut assez admirer, car elle était sans témoins, sans encouragemens, sans appui, presque sans espérance de succès. Si jamais œuvre florissante a eu des débuts ingrats, c’est bien