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d’Orléans et du coadjuteur. Le roi était majeur; une fois libre, rien ne lui serait plus facile que de dicter la loi aux factieux à la tête d’une armée victorieuse.

Le cardinal s’était peu à peu rapproché de la France ; — il s’était établi d’abord à Huy, près de Namur (24 octobre), puis à Dinant (15 novembre). Ce fut là qu’il reçut du roi, le 17 novembre, date mémorable, l’ordre formel de rentrer en France à la tête des troupes qu’il avait levées. Avant de se mettre en route, il exigea que la déclaration contre M. le prince fût enregistrée au parlement et que toute négociation avec lui fût rompue. Il avait venda tous les meubles et objets d’art qu’il possédait pour lever des recrues dans le pays de Liège et sur les bords du Rhin. Pendant ce temps, il s’attachait avec un soin extrême à gagner à sa cause le coadjuteur, ou tout au moins à l’empêcher de lui nuire. Il lui envoyait par la palatine tous les témoignages d’affection et de confiance qu’il pouvait imaginer, et le coadjuteur y répondait avec une effusion non moins sincère. Jamais ennemis mortels ne méditèrent leur ruine mutuelle avec plus de perfidie en échangeant des propos plus tendres.

Les caresses de Mazarin sont inépuisables et se traduisent sous mille formes. Il écrit à la palatine, le 19 novembre, qu’il est heureux qu’elle lui confirme l’amitié véritable du coadjuteur. « Il faut que cette amitié, ajoute-t-il, ne soit plus sujette au changement. Je vois que le coadjuteur et Mazarin ont les mêmes pensées, condamnent les mêmes choses, appréhendent les mêmes malheurs, si la reine et le roi ne prennent une autre conduite, et enfin ont le même intérêt à l’égard de M. le prince, de façon que jamais il n’y eut lieu de faire une plus étroite liaison... Je vous conjure de dire au coadjuteur que je le servirai sincèrement, que j’en embrasserai toutes les occasions et qu’il n’aura jamais à se plaindre de moi... L’intelligence bien établie entre le coadjuteur et Mazarin, le roi se remettra en très bon état, particulièrement si le coadjuteur vient à bout de son dessein sur le duc d’Orléans, comme j’étais résolu d’y travailler... » Mazarin voulait dire par là qu’il était nécessaire que le coadjuteur détachât à tout prix le duc d’Orléans de son étroite union avec le prince de Condé et s’emparât de toute l’influence pour ramener Gaston à la reine. On sait que Retz s’attacha précisément à faire tout le contraire. Mazarin, dans la suite de sa lettre, compare l’entrevue qu’il souhaite avec le coadjuteur à une consultation de deux médecins pour sauver la France malade. « La consultation qui a été proposée, dit-il, des deux médecins, guérirait beaucoup de maladies; mais je crains qu’elle ne produise pas les effets que je voudrais, à cause de quantité d’autres médecins qui se mêleront là dedans, et malaisément on le pourra empêcher si le coadjuteur et la princesse palatine ne trouvent quelque expédient. »