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Mazarin s’efforçait de paralyser autant que possible la pernicieuse conduite de Retz. « J’ai été ravi d’apprendre, mandait-il à Bartet le 15 novembre, que les affaires du coadjuteur sont assurées, nonobstant les oppositions de M. le prince. Je crois même que le coadjuteur en rougira devant un mois (c’est-à-dire qu’il recevra la pourpre). Par les avis que j’ai reçus depuis peu de Paris, je crois que vous pouvez assurer que ce sera un grand bonheur si vous pouvez ajuster la visite que vous savez (la visite du coadjuteur à Mazarin). » À cette pensée, Mazarin feignait de s’abandonner à de vrais épanchemens de tendresse auxquels le coadjuteur répondait avec non moins de sincérité. « Il est certain, poursuivait le ministre exilé, que quand cela aura réussi, le Muet (le coadjuteur) sera très content et Mazarin ravi : car il est résolu, comme Bartet l’a pu reconnaître dans son cœur, de ne rien oublier pour lier avec le coadjuteur une amitié qui ne puisse jamais être sujette au changement... » Dans une lettre en date du 17 novembre, il faisait prier le coadjuteur de venir le trouver jusqu’à Rethel. Le 19, il insistait auprès de Bartet pour que la visite eût lieu le plus tôt possible, et en même temps il lui annonçait que, de concert avec le coadjuteur, il levait des troupes pour aller en personne rejoindre le roi.

Il avait conçu le projet de rentrer en France dès que la reine serait hors de Paris, et il était d’autant plus pressé de l’exécuter qu’il était fort au courant des intrigues qui s’agitaient autour de cette princesse pour empêcher son retour. Châteauneuf, devenu premier ministre, s’était acquis un grand prestige par la vigueur avec laquelle il avait conduit la guerre de Guyenne. Il s’était imposé à tous ses collègues, au garde des sceaux Mathieu Molé, comme au maréchal de Villeroi, gouverneur du jeune Louis XIV. Il avait pris l’engagement de faciliter le retour du cardinal, mais au fond il n’était nullement disposé à lui céder la place; il trouvait toujours des faux-fuyans et des délais ; il menaçait la reine de la colère du duc d’Orléans et du coadjuteur, et il travaillait dans l’ombre à réconcilier Condé avec Anne d’Autriche aux dépens de l’exilé.

D’autre part, le duc d’Orléans, à l’instigation du coadjuteur, ravivait toutes les haines et les défiances du parlement contre Mazarin. Presque abandonné de tous ceux sur lesquels il avait cru pouvoir compter, mais fort de l’immuable affection de la reine, Mazarin, passant tout à coup d’un découragement profond à une audace qu’on ne lui avait pas connue jusque-là, résolut de rentrer en France, non pas en proscrit, non pas en suppliant, mais à la tête d’une armée levée à ses frais et dans le dessein hautement avoué de marcher au secours du roi. Avec une grande sûreté de coup d’œil, il avait compris que le seul moyen pour lui de remonter au pouvoir, c’était de soustraire la reine et le jeune roi à l’influence du duc