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entrevue ne fournît la preuve évidente de leur concert secret, et ne le ruinât sans retour dans la faveur de la bourgeoisie et du peuple, se fit un jeu constant de la promettre et de l’éluder. Il lui donnait parole sur parole de « le servir bien », de hâter son retour, et, en réalité, il ne cessait de faire la sourde oreille. Grâce à ce manège et à l’extrême habileté de l’Ange Gabriel, Mazarin fut amusé pendant quelques semaines, et lorsqu’il commença à s’en apercevoir, il était trop tard pour y remédier. Bien que sa défiance, même à l’égard de ses plus fidèles partisans, fût sans cesse en éveil, il semble qu’il eût quelque espoir, pendant deux mois, de s’être acquis sinon le dévoûment, du moins la neutralité du coadjuteur. C’est à peine si tout ce qu’on lui disait de sa conduite ambiguë et même parfois ouvertement hostile lui arrachait quelques plaintes. Il feignait d’être fermement résolu à se confier à lui, il ne paraissait pas douter de sa bonne foi ; il affectait de lui dévoiler tous ses projets, même les plus cachés, avec une grâce et un abandon fort bien joués, mais auxquels, il faut bien le dire, le coadjuteur ne se laissa jamais prendre un seul instant. Rien de plus intéressant que certains passages des lettres de Mazarin qui ont trait au coadjuteur. Dans une lettre à la palatine, en date du 3 octobre, il se plaint tout doucement de ce que Retz ne lui a point encore adressé un remercîment « après tout ce qu’il venait de faire pour lui, » Il n’en persistait pas moins à feindre de lui témoigner une confiance absolue et il le faisait prier par Bartet d’aller lui rendre visite. « Sur le sujet du coadjuteur, écrivait-il à la palatine (3 octobre), les lettres de la reine m’ont dit des merveilles, me confirmant celles que vous m’en avez écrit, et je confesse que cela m’a réjoui extrêmement, car ce qu’elles m’ont rapporté de lui et de ses sentimens m’a confirmé dans la résolution de me confier sans aucune réserve à lui et à Mme de Chevreuse, et de mander à la reine de ne recevoir d’autres avis que les leurs pour la conduite de mes affaires ; et j’oserai répondre que par cette voie tout peut être remis dans l’état que la reine et Mazarin souhaitent, ceux-ci étant persuadés que le coadjuteur, quand il sera question de les obliger, parlera comme il faut, et que Mme de Chevreuse ne sera pas muette. Pour moi, je crois qu’après les choses qu’on a déjà faites,… rien n’est capable de gagner entièrement le cœur desdites personnes que la confiance. Je vous réponds qu’elle est et sera entière et que Mazarin suivra aveuglément les conseils du coadjuteur et de Mme de Chevreuse et qu’il n’oubliera rien afin que la reine fasse de même pour les intérêts de Mazarin. »

Le coadjuteur, de son côté, ne négligeait rien dans ses conversations avec les émissaires de Mazarin pour leur faire croire qu’il lui était entièrement dévoué. Il allait jusqu’à blâmer en leur présence les arrêts du parlement contre le ministre proscrit, arrêts qu’il était