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du coadjuteur, il faisait partir secrètement pour Paris quelques hommes de main, afin de l’enlever. Cette tentative, qui échoua, est racontée d’une manière intéressante et détaillée dans les Mémoires de Gourville, qui était à la tête de ce petit complot. Plusieurs auteurs de Mémoires, entre autres Retz et La Rochefoucauld, parlent aussi de cet épisode. Voici ce qu’en dit le coadjuteur à l’abbé Charrier, au moment même où il faillit être pris par les agens de Condé : « Je vous vas mander une chose qu’il est important que vous teniez secrète et que même vous désavouerez si vous en entendez parler. Ce n’est pas qu’elle ne soit véritable et même publique ici et avérée ; mais comme c’est un assassinat en ma personne, je crois qu’il ne faut pas l’avouer à Rome, de peur que le pape n’appréhende de donner la pourpre à un homme qui courrait fortune de l’ensanglanter. En voici l’histoire pour vous seul. L’entreprise a été faite par Gourville, que vous connaissez pour valet et confident de M. de La Rochefoucauld, qui est venu ici sous prétexte d’apporter à M. le duc d’Orléans une lettre de M. le prince, mais dans la vérité pour exécuter ce dessein. Il avait associé avec lui le major de Damvillers, nommé La Roche, ancien domestique de La Rochefoucauld, qui est maintenant à la Bastille et confesse qu’il est venu en cette ville sur les lettres dudit Gourville, non pas à la vérité pour m’assassiner, mais pour m’enlever, ce que lui et ledit Gourville avaient essayé de faire avec plusieurs autres (tous domestiques de La Rochefoucauld, qu’il nomme), un jour de dimanche, étant montés à cheval à cet effet, sur les sept heures du soir, et y ayant demeuré jusques à onze envers, sous l’arcade qui est au bout de la rue de l’hôtel de Chevreuse, où ils savaient que j’étais, et les autres au bout de la rue de l’hôtel de Longueville, sur l’eau. Il avoue que, si je fusse passé, j’eusse été enlevé ; mais par bonheur, ayant rencontré Mme de Rhodes chez elle, je revins par le pont Notre-Dame, et ainsi je me sauvai comme par miracle. Mon carrosse a été suivi huit jours, et le mardi je pensai encore être attrapé dans le Marais. Enfin l’affaire s’est découverte, et on a fait arrêter La Roche et deux de ses valets, qui parlent aussi bien que lui, excepté qu’ils ne me nomment pas et que lui me nomme formellement. J’aurai des preuves non-seulement de l’enlèvement, mais même de l’assassinat[1]. »

Mazarin, en apprenant cette tentative d’enlèvement ou d’assassinat, qu’au fond il était désolé de voir échouer, écrivait à la palatine : « Quoique j’aie prié Le Tellier de témoigner ma joie au coadjuteur de la protection que Dieu lui a donnée dans l’affaire qu’on a découverte, je ne puis pourtant m’empêcher de vous supplier

  1. Lettre du 27 novembre 1651.