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arrêts des tribunaux de volost dans le cas où cette justice villageoise dépasse les limites de sa compétence. Les droits accordés à ces nouveaux comités sont ainsi considérables, et il serait difficile de les étendre sans empiéter sur les franchises des paysans. Au-dessus de ces bureaux de district et comme un tribunal d’appel est placé un comité provincial présidé par le gouverneur et composé des principales autorités de la province. Les Russes ne redoutent point la complication, ils aiment dans tous les ressorts, dans toutes les branches de l’administration, ces conseils superposés et ces instances successives. S’ils savent se maintenir étroitement dans leurs attributions de contrôle, les nouveaux comités de district et de province peuvent rendre aux communes rurales d’importans services; si, dans le dessein de supprimer tous les abus, ils prétendent s’immiscer dans les affaires intérieures du mir, ces comités de surveillance en pourront à la longue entraver le fonctionnement et paralyser les mouvemens. Le régime bureaucratique serait seul à en profiter, et ce n’est point là ce que veut personne en Russie.

Tout en les plaçant aujourd’hui sous le contrôle des classes plus instruites, la loi abandonne aux paysans le règlement des affaires de la commune, en dehors des autres habitans de la campagne. Ce système, qui laisse le plus grand nombre des propriétaires individuels et tous les anciens seigneurs en dehors de la commune et de la volost, est à la fois une conséquence de l’émancipation et de la propriété collective. Il était difficile de réunir dans une même circonscription administrative les serfs affranchis et leurs maîtres de la veille sans que les souvenirs de l’ancienne domination ou les rancunes de l’esclavage ne nuisissent à la liberté des uns ou des autres. L’absence dans les campagnes de classes moyennes, le manque d’anneau intermédiaire entre les propriétaires et les paysans, rendait un tel rapprochement plus malaisé. Entre l’ancien seigneur propriétaire à titre personnel et héréditaire et le paysan simple usufruitier temporaire d’un domaine collectif, la communauté des terres élève encore aujourd’hui une barrière difficile à renverser.

Une des conséquences des communautés de village, c’est en effet de perpétuer dans les campagnes des distinctions de classes qui vont s’effaçant dans les villes. Tant qu’un grand nombre de paysans des communes ne seront point par libre acquisition devenus propriétaires personnels, l’ancien seigneur, le barine, demeurera au milieu de ses anciens sujets comme un homme à part, un homme d’une autre caste, étranger aux intérêts de ceux qui l’entourent, étranger à la commune où il vit. Cette disparité de constitution entre la grande et la petite propriété enlève à l’une la meilleure