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vie des hommes et affecte bien plus profondément leurs intérêts et leur bien-être.

Cette commune russe n’a pas été créée par la loi, elle a précédé toute législation, et la loi n’a fait qu’en reconnaître, qu’en enregistrer l’existence. Le pouvoir central a voulu la réglementer, mais en fait elle reste sous l’empire de la coutume, vivant dans ses formes archaïques de sa vie propre et spontanée. Antérieure au servage, la commune lui a résisté et survécu, persistant, grâce à son caractère économique, à travers les trois siècles d’asservissement du paysan. Le servage s’est superposé au mir, sans le détruire ; la commune rurale ne pouvait pas cependant ne point se ressentir de la condition civile de ses membres. Ayant subi les effets du servage, elle a dû ressentir les effets ou le contre-coup da l’émancipation. La servitude de la glèbe l’avait naturellement déprimée, l’émancipation la devait relever et affranchir elle-même comme les paysans dont elle était composée.

Au temps du servage, l’administration, comme la justice locale, était en grande partie aux mains du seigneur ou de son intendant. Le seigneur, étant le tuteur-né de ses paysans, exerçait sur les communes de ses domaines une véritable tutelle. Le mir, sous ce régime paternel, était plutôt une institution économique qu’une institution administrative. L’émancipation, en rompant les liens du paysan et du propriétaire, posait à nouveau la question de l’administration rurale. En rendant aux paysans la liberté personnelle, beaucoup des anciens maîtres eussent voulu conserver une part de l’administration, un droit de surveillance ou de contrôle sur leurs affranchis. Certains propriétaires réclament encore aujourd’hui, dans l’intérêt même des paysans, qu’ils considèrent comme d’incapables mineurs, le patronat ou la tutelle plus ou moins déguisée de la noblesse. Le gouvernement impérial n’a point admis ce point de vue en 1860, et depuis lors il est demeuré sourd à toutes les objurgations de ce genre. Le moujik a reçu à la fois l’émancipation civile et l’émancipation administrative : les doléances de ses détracteurs ne semblent lui devoir enlever ni l’une ni l’autre.

L’acte d’émancipation, qui est resté la charte des paysans, affranchit les communes rurales de toute dépendance, de toute autorité étrangère. L’administration communale fut abandonnée à l’élection, et le mir choisit ses fonctionnaires dans son sein, c’est-à-dire parmi les villageois, car les hommes des autres classes, n’ayant point de droit à la propriété commune, ne sont pas membres du mir et demeurent ainsi légalement en dehors de la commune où ils habitent. Le gouvernement avait, pour l’administration des serfs affranchis, un modèle dans l’administration des paysans de la couronne. L’acte