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partie de son armée. L’Angleterre a déjà envoyé sa flotte à Besika et elle vient d’expédier quelques milliers d’hommes de renfort à Malte, dans les garnisons de la Méditerranée. Il ne faut cependant rien exagérer : ce n’est pas même une apparence d’entrée en action. L’Autriche n’est point évidemment disposée à aller bien loin, et les démonstrations anglaises se ressentent trop visiblement des divisions du cabinet de Londres pour avoir un caractère bien décisif. En réalité, ces démonstrations sont le prix de transactions incessantes entre des influences diverses, — lord Beaconsfield, le ministre de la guerre, M. Gawthorne Hardy, inclinant à l’action, lord Salisbury, lord Carnarvon défendant le système de neutralité absolue, et lord Derby, sir Stratford Northcote intervenant à propos pour écarter par des combinaisons inoffensives, telles que l’envoi de 3,000 hommes à Malte, des résolutions plus caractérisées, comme l’occupation de Gallipoli. De la part de l’Angleterre comme de la part de l’Autriche, ces manifestations sont probablement destinées à rester des actes conservatoires bien plus que des actes comminatoires. Les deux puissances tiennent à ne point être prises au dépourvu et à montrer qu’elles ne sont pas insensibles aux événemens; elles croient pouvoir ainsi exercer une influence utile sur la conclusion de la paix. Le comte Derby disait l’autre jour dans la chambre des lords qu’il ne connaissait pas de situation meilleure pour une intervention efficace que la un d’une guerre où les puissances belligérantes sont épuisées et où « les puissances neutres, sans être compromises dans un sens ou dans l’autre, ont toutes leurs forces encore fraîches et complètement intactes. » C’est possible théoriquement; en fait, si la guerre se terminait brusquement par une négociation directe de la Turquie avec la Russie, on ne la rallumerait probablement pas pour disputer au vainqueur le prix de ses succès, et la théorie de lord Derby resterait une habileté de langage décorant l’inaction jusqu’au bout.

Peut-être ceux des Anglais qui n’en sont pas, comme M. Bright, à regretter toujours la participation de leur pays au siège de Sébastopol, peut-être ces Anglais fidèles aux traditions de leur vieille politique s’aperçoivent-ils aujourd’hui que là où la France ne peut pas jouer tout son rôle il manque quelque chose dans le jeu des grandes affaires du monde. La France de moins, c’est la guerre de 1828, la guerre de 1877 se déroulant devant l’Europe spectatrice inquiète et impuissante. La France de plus, c’est la guerre de 1854, qui a été l’œuvre de l’alliance des deux nations pour la défense d’un intérêt européen, et dont un de nos historiens, M. Camille Rousset, reproduit aujourd’hui les vieux souvenirs dans des pages substantielles et animées. L’auteur de l’Histoire de la guerre de Crimée le dit justement : Cette lutte a cela d’original et de frappant qu’elle n’a laissé et ne pouvait laisser ni amertume ni malveillance durable chez les combattans des deux camps. Elle a été