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le traité d’Andrinople, seulement avec des conditions aggravées cette fois pour l’empire ottoman. La Russie ne refuserait certainement pas d’admettre la diplomatie à reprendre en commun la conférence de Constantinople. Dans ces conditions, il faut bien l’avouer, l’Europe n’interviendrait plus que pour la forme, pour sanctionner ce qu’elle ne pourrait plus empêcher.

Est-ce là tout ce qu’ont voulu, tout ce que veulent particulièrement l’Autriche et l’Angleterre? Le dernier mot de la politique des deux puissances pour le moment les plus intéressées aux affaires orientales peut-il consister dans une intervention tardive, impuissante, suivant des faits accomplis et couvrant d’un protocole complaisant des résultats conquis par la Russie? L’Autriche est assurément dans une position délicate; elle est enchaînée par toute sorte de considérations extérieures et intérieures. Suivre sous une forme quelconque la Russie dans sa croisade en Orient, elle ne le pouvait pas : c’était contraire à toutes les traditions de sa politique, contraire au bon accord des deux parties de la monarchie, puisque les Hongrois ne se seraient prêtés en aucun cas à une coopération avec les Russes, pas même à des interventions profitables dont l’unique effet eût été de grossir par des annexions les élémens slaves de l’empire. Prendre parti contre la Russie, se mettre dès le début en hostilité avec elle par des démonstrations menaçantes, le cabinet de Vienne ne pouvait le vouloir : les rapports intimes de l’empereur François-Joseph avec l’empereur Alexandre ne le permettaient pas, les rapports avec l’Allemagne faisaient de la prudence une nécessité. L’Autriche s’est contentée de quelques garanties qui lui ont été données, qui n’avaient d’autre objet que d’éloigner la guerre de ses frontières et qui n’ont été d’ailleurs qu’à demi respectées; elle s’est enfermée dans sa savante circonspection. L’Angleterre, de son côté, quoique plus libre que l’Autriche, est restée à peu près dans la même mesure. Elle s’est bornée, dans sa déclaration de neutralité, à définir les intérêts anglais qu’elle ne pourrait laisser atteindre sans les sauvegarder. La Russie est certainement trop habile pour n’avoir pas rassuré le cabinet de Londres sur ces « intérêts anglais, » et le comte Schouvalof a même été chargé de remercier lord Derby « pour avoir désigné ainsi à son gouvernement les endroits où gisaient les torpilles. »

Rester neutre, absolument neutre, laisser l’empire ottoman à lui-même, c’était bon au commencement de la guerre. Cela suffira-t-il à des puissances comme l’Autriche et l’Angleterre maintenant que tout s’ébranle, que les Roumains suivent les soldats du tsar au-delà du Danube, que la Bulgarie semble traitée en province conquise et que la Russie est au sud des Balkans, menaçant Constantinople? C’est là justement la question qui s’agite à Vienne et à Londres. L’Autriche paraît vouloir accentuer un peu plus sa politique; elle se déciderait à mobiliser une