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arrêtés pendant bien des semaines sur la rive gauche du Danube par les obstacles naturels, par la nécessité de concentrer leurs moyens d’action, leurs approvisionnemens, le Russes se sont décidés. Ils ont franchi le fleuve dès le mois dernier, partie dans le bas-Danube, par Galatz, partie dans la région supérieure, au-dessus des forteresses turques, en face de Sistova. La fraction de l’armée russe qui a passé par Galatz a envahi la Dobrutscha, et après s’être avancée vers ce qu’on appelle le mur de Trajan, elle semble maintenant avoir pour mission d’investir Silistrie. L’autre fraction, de beaucoup la plus considérable, celle qui forme la masse de l’armée russe, en passant le fleuve à la hauteur de Sistova, est entrée directement dans la Bulgarie. Elle a eu besoin de quelques jours pour s’établir sur la rive droite, pour assurer ses premières communications en s’étendant dans la Bulgarie, sur la route de Tirnova. Elle a enlevé de vive force Nicopolis, qui lui garantit de ce côté le passage du fleuve, et d’un autre côté elle s’est mise en mesure d’investir Roustchouk, que l’artillerie russe canonne de la rive opposée du Danube, de Giurgevo. En même temps, une forte avant-garde, conduite par le général Gourko, a été audacieusement lancée sur les Balkans, qu’elle a pu franchir et dont elle tient aujourd’hui les principaux défilés. Ainsi, tandis que l’armée du grand-duc Nicolas occupe Nicopolis, se répand dans la Bulgarie, investit, au sommet du quadrilatère, sur le Danube, Roustchouk et Silistrie, les têtes de colonnes russes sont déjà au sud des Balkans, vers Yamboli et Yeni-Zagra, menaçant les routes d’Andrinople et de Philippopolis.

Quelles sont les forces réelles de cette avant-garde? Il est difficile qu’elles soient considérables, et il n’est pas moins difficile que le gros des forces russes puisse les suivre de sitôt. Évidemment, si l’armée turque, dont on est réduit à mettre l’existence en doute, qui doit bien cependant être quelque part autour de Choumla, si cette armée avait eu à sa tête un homme de guerre, les Russes auraient couru et courraient encore d’extrêmes périls. Ils auraient été exposés à être jetés dans le Danube dans les quarante-huit heures qui ont suivi le passage, et ils seraient encore exposés à voir leur ligne d’opération bouleversée. Ils ont pu sentir le danger à l’attaque récente d’Osman-Pacha, qui, venant de Widdin, a engagé l’action contre un corps russe à Plewna, et lui a mis 2,000 hommes hors de combat. Sauf cette affaire, qui a été un succès presque accidentel et sans lendemain pour Osman-Pacha, les Turcs n’ont rien fait de sérieux jusqu’ici sur le Danube. Si le généralissime Abdul-Kérim avait un plan inconnu, il l’a emporté avec lui: il a payé son inaction d’une disgrâce, il a été rappelé avec le ministre de la guerre, Rédif-Pacha, qu’on avait envoyé à Choumla, et l’armée de Bulgarie vient de recevoir un nouveau chef. D’un autre côté, à la nouvelle du passage des Balkans par les Russes, on s’est hâté à Constanlinople d’expédier à leur rencontre le ministre de la marine, Réouf-Pacha,