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de son caractère brutal et insolent; «elle mérite alors la gloire dont elle est entourée, et elle emploie à créer une paix durable entre les états les plus nobles vertus dont s’honore l’humanité. » Nonobstant, toujours d’accord avec Hegel, ils désirent qu’elle soit considérée comme un désordre, comme un accident passager, et ils demandent aux parties belligérantes de ne jamais oublier qu’hier elles étaient liées l’une à l’autre par des traités, qu’avant peu elles en concluront de nouveaux, que partant elles doivent s’abstenir rigoureusement de tout ce qui pourrait rendre plus difficile le retour de la paix. A l’heure même où un état civilisé porte le fer et le feu sur le territoire de son voisin, il s’occupe de préparer la paix; à travers la fumée du canon, il voit dans l’ennemi d’aujourd’hui celui qui demain sera une partie contractante. Si les nécessités de la guerre l’autorisent à priver son adversaire de tous ses moyens de défense, il doit se dire que tout ce qu’il ferait de plus serait un abus de la force. Comme le soutenait Hegel, l’envahisseur ne doit rien entreprendre ni contre les habitans inoffensifs, ni contre les droits des familles, ni contre les croyances religieuses, et il est tenu de respecter les institutions intérieures de l’état envahi, avec lequel il traitera aussitôt que les canons auront passé la parole aux diplomates.

La nouvelle doctrine russe en matière de droit des gens n’est pas d’accord sur ce point avec celle du philosophe allemand et de MM. Funck et Sorel. Le projet de convention soumis à l’examen de la conférence de Bruxelles se composait de deux sections, dont l’une était intitulée des Droits des parties belligérantes l’une à l’égard de l’autre. L’article 1er de cette section portait que « l’occupation par l’ennemi d’une partie du territoire de l’état en guerre avec lui y suspend par le fait même l’autorité du pouvoir légal de ce dernier, et y substitue l’autorité du pouvoir militaire de l’état occupant. » Cet article, interprété dans le sens le moins favorable aux intérêts des vaincus, était le fondement sur lequel reposait tout l’édifice du projet. On avait décidé à Saint-Pétersbourg que l’envahisseur n’a pas seulement le droit de prendre possession de tous les capitaux du gouvernement ennemi, de ses dépôts d’armes, de ses moyens de transport, de ses magasins et approvisionnemens, de ses immeubles, de ses forêts, de ses exploitations agricoles, mais qu’il est autorisé à prélever à son profit tous les impôts, redevances et péages ; que le chef d’armée d’occupation peut contraindre les fonctionnaires de tout ordre à continuer sous sa surveillance et sous son contrôle l’exercice de leurs fonctions, en exigeant d’eux qu’ils s’engagent sur la foi d’un serment à remplir tous leurs devoirs envers lui, faute de quoi ils se rendent passibles de poursuites judiciaires. Un pouvoir plus considérable encore lui est octroyé : il lui est permis soit de maintenir dans le territoire envahi la force obligatoire des lois en vigueur, soit de les modifier en partie, soit de les suspendre entièrement. À ce compte, l’envahisseur a le droit de légiférer; dès le premier jour de l’occupation, les