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Au rivage désert, les barbares surpris,
Demanderont où fut ce qu’on nommait Paris ;
Pour effacer du sol la reine des Sodomes,
Que ne défendra pas l’aiguille de ses dômes,
La foudre éclatera, les quatre vents du ciel
Sur le terrain fumant feront grêler du sel ;
Et moi j’applaudirai : ma jeunesse engourdie
Se réchauffera bien à ce grand incendie !


les applaudissemens éclatèrent, la foule avait compris et s’associait aux projets criminels de. ses dictateurs. Le soir, la même actrice récita les mêmes vers, avec le même succès, au Théâtre-Lyrique. Pendant le siège, on avait tant répété, sur tous les tons, aux Parisiens qu’il fallait se faire sauter plutôt que de capituler, que Paris, livré aux hommes de la commune, s’est brûlé plutôt que de se rendre à la France ; la rhétorique révolutionnaire versée à flots depuis huit mois a été pour beaucoup dans l’accomplissement du forfait, et bien des gens ont cru être héroïques qui n’étaient que stupides. Si Augustin Ranvier fit connaître à son frère l’enthousiasme dont il avait été le témoin, le comité de salut public fut assuré de trouver des auxiliaires dociles dans la partie affolée de la population et se prépara froidement à tous les crimes. On ne rêvait pas seulement des incendies, l’entrée des troupes françaises devait être le signal d’assassinats abominables ; un des plus horribles fut commis à Sainte-Pélagie.

Le lendemain même du jour où le concert avait été donné aux Tuileries, Gustave Chaudey fut amené à Sainte-Pélagie et écroué au « pavillon des Princes. » Arrêté le 13 avril par ordre de Rigault, incarcéré au dépôt, transféré, le 14, à Mazas, il devait aux sollicitations de sa femme d’avoir été transporté à Sainte-Pélagie, où il était matériellement mieux et où il se croyait peut-être plus en sûreté. Chaudey était alors un homme de cinquante-deux ans, avocat à la cour d’appel, aimé de ses collègues auxquels plaisait sa bonhomie un peu bruyante, d’opinions républicaines très fermes, mais modérées, inclinant vers les idées girondines. Doué des vertus sérieuses de l’homme privé, il désirait ardemment entrer dans la vie politique. Lié avec son compatriote Proudhon, il avait subi l’influence de ce dialecticien de la démolition universelle, et avait probablement admiré son imperturbable logique, sans trop s’apercevoir que les conclusions étaient souvent erronées, parce que les prémisses n’étaient pas toujours justes. Il ne savait pas que Proudhon, dans sa correspondance intime, s’effrayait parfois lui-même de son œuvre et que, le 3 mai 1860, il avait écrit à son ami, à son confident, Charles Beslay : « J’ai vécu, j’ai travaillé, je puis le dire, quarante ans dans la pensée de la liberté et de la justice : j’ai pris la plume pour les servir, et je n’aurai servi qu’à hâter la servitude