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C’est un beau vers du poète des Feuilles d’automne. Voilà précisément ce que M. Alphonse Dantier a fait avec autant de netteté que de mesure dans ses pages sur les Borgia.

L’ouvrage de M. Perrens se recommande avant tout par l’étendue et la solidité des recherches. C’est une construction puissante, une œuvre bâtie à chaux et à sable. Notre littérature possède une histoire de Venise, composée avec le plus grand détail par le comte Daru ; M. Perrens a eu l’ambition de faire pour Florence ce que Daru a fait pour Venise. L’exemple était bon à suivre. Si l’auteur ne pouvait se flatter d’égaler son modèle pour la beauté du langage et la noblesse des idées, il avait l’espérance de se relever par tout ce qui appartient aux conquêtes littéraires de notre âge, le sens plus vrai du passé, l’étude plus précise des vieux documens, la pénétration et la sûreté de la critique. C’est là, en effet, ce qui assure un succès durable à cette histoire de Florence. L’ouvrage n’aura pas moins de dix volumes; les trois premiers qui viennent de paraître renferment quelques-unes des parties les plus difficiles du sujet, et l’on voit déjà que l’historien est maître de sa matière. De fiéquens voyages en Toscane lui ont fourni des documens de haute valeur. Il n’ignore aucune des monographies publiées par ses devanciers sur tel ou tel point des annales florentines, il a lu la plume à la main tout ce qu’ont écrit les savans de l’Italie, il a interrogé aussi les Allemands, Raumer et Gregorovius, Alfred de Reumont et le fils du grand Hegel, Ajoutez à cela tant de recherches dont s’honore la France, les travaux de Gingaené et de Sismondi, de Fauriel et d’Ozanam. Il connaît tout, et, ce qui vaut mieux encore, il contrôle tout. Ce n’est pas une compilation habile, c’est une œuvre personnelle. Il examine, il compare, il juge et s’efforce de dire le dernier mot.

Le défaut du livre, c’est l’abondance même des documens. Ce vaste répertoire de faits est peut-être plus utile à consulter qu’il n’est agréable à lire. Non pas que le plan soit mal conçu, ni que la distribution générale manque de netteté, mais à voir tant de détails sur chaque point, tant de notes sur chaque détail, on regrette que l’auteur ne se soit pas attaché davantage à mettre en relief les parties principales de son récit et à rejeter les autres dans la pénombre. Presque tous les personnages sont au même plan, on voudrait un peu plus de perspective. Ce n’est là, du reste, qu’une affaire de rédaction, et, si M. Perrens est de notre avis, il lui sera facile de corriger une faute qui enlève à ce sérieux travail une partie de son attrait. Quant au plan, je le trouve irréprochable. Le premier volume, divisé lui-même en trois livres, nous conduit des temps antiques au milieu du XIIIe siècle. Voici d’abord les origines les plus lointaines, la vieille Étrurie d’où sortiront les Toscans, le vieux fonds indigène cultivé par les Grecs et envahi par les Romains, voici Florence, la petite bourgade, devenant une cité latine, Florence sous la république, Florence sous les Césars, Florence sous la prédication chrétienne.