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de Théodoric, l’Italie républicaine, conservant dans maintes cités le dépôt des libertés municipales. À ces causes de division, les Lombards d’abord, les Francs ensuite, vont en ajouter bien d’autres, et de là ces complications si difficiles à démêler dans l’Italie du moyen âge. M. Damier excelle à montrer ces complications et à les expliquer, à nouer et à dénouer les liens de l’histoire. On éprouve en le lisant le plaisir de se sentir conduit par un esprit droit, honnête, consciencieux, qui a le goût très vif de la poésie et de l’art sans jamais perdre de vue le mouvement du monde réel, qui honore en toute occasion la cause du catholicisme, mais qui rougirait de la servir aux dépens de la vérité.

Cette inspiration loyale est surtout manifeste quand l’auteur, après avoir traversé les révolutions de Florence, les conjurations de Milan, après avoir mis en scène les Médicis et retracé le drame des Pazzi, est obligé de regarder en face la scandaleuse fortune du pape Alexandre VI. Sa XVIIIe étude, intitulée César Borgia, est un modèle de mesure et d’énergie, de parfaite droiture et de fermeté inflexible. Il paraît qu’un dominicain de nos jours, dans un livre composé à la veille du concile de 1870, a entrepris la complète réhabilitation des Borgia, particulièrement celle d’Alexandre VI. Quel est ce dominicain ? L’auteur l’a épargné en ne le nommant pas. M. Dantier n’est pas de ceux qui courent après le bruit, qui cherchent à trouver en faute les esprits faibles ou violens ; il serait plutôt disposé à couvrir certaines ivresses des plis de son manteau. Comment ne pas réclamer pourtant lorsque de tels délires viennent compromettre une cause sainte ? Un dominicain espagnol du XVIe siècle, nommé Ciaccone, a signalé avec indignation, dans ses Vitæ romanorum pontificum, les infamies de ce cardinal Roderic Borgia qui devint le pape Alexandre VI. Un dominicain français du XIXe affirme que le cardinal Roderic Borgia « sut toujours bien mériter de l’église, et que, tout en se montrant digne de la confiance de Calixte III, il se concilia par ses vertus privées la vénération et l’amour des grands et des petits. » Quelle est donc cette folie particulière à quelques cerveaux de nos jours ? D’où vient cette manie de braver le sens commun et de dénaturer les faits les plus authentiques ? Est-ce simplement exaltation aveugle, entraînement et délire de la foi ? N’est-ce pas plutôt l’aveu secret d’une conscience qui n’est pas sûre d’elle-même ? La foi simple et forte n’a pas de ces épouvantes. Elle ne redoute ni la raison, ni la vérité, elle n’outrage ni la science, ni l’histoire. Elle met les principes absolus au-dessus des choses fortuites et les dogmes éternels au-dessus des accidens d’ici-bas. Je dis plus : la piété suprême et idéale, ce serait celle qui dégagerait continuellement sa cause des hontes de l’humanité, qui n’attendrait pas les attaques de l’ennemi, qui condamnerait, la première tout ce qui est condamnable, qui ne se croirait pas obligée de justifier le fanatisme ou l’hypocrisie, qui chaque jour enfin s’attacherait à purifier l’église,

Comme un pavé d’autel qu’on lave tous les soirs.