Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écoutait dans un douloureux ravissement, et quand, au milieu de sa chanson, les yeux de Dionytza vinrent à tomber sur ses yeux, elle frémit en y voyant rouler deux larmes.

Elle baissa la tête pour achever sans le voir; mais lorsque, le soleil couché, on reprit deux à deux le chemin du village, elle vint avec lui, et ils marchèrent ainsi, l’un près de l’autre, les derniers.

J’ai voulu te parler, Spiridion, dit-elle en s’arrêtant un instant; depuis que tu es de retour, je ne te vois presque jamais, et tu n’es plus le même, — et comme il détournait la tête, — oui, je sais, tu as du chagrin; oh! je t’en prie, ne l’afflige pas, tu me feras tant de peine ! Spiro, mon pauvre Spiro, écoute-moi; ne sommes-nous plus amis, comme autrefois? Ne sois pas triste alors... tiens, donne-moi la main... je t’aime bien, va, et je t’aimerai toujours, mais tu ne seras plus triste, n’est-ce pas?.. donne-moi ta main. — Et elle lui prit la main.

Spiridion avait pleuré, et pour la première fois les douces paroles de la jeune femme avaient fait éclater dans sa poitrine les sanglots longtemps comprimés. Il sentit sa main dans la sienne, en même temps qu’il entendait l’écho de ses dernières paroles : — Je t’aime bien, je t’aimerai toujours; — alors son visage changea brusquement, ses yeux brillèrent jusqu’à sécher ses larmes, il retint la main de Dionytza, puis, avec un frémissement de passion et de colère, la voix sourde, retrouvant en un moment toute son énergique volonté :

— Oui, tu m’aimeras; oui, tu m’aimeras bien, dit-il, car moi je t’aime, et il faut que tu le saches. Oui, tu m’aimeras, mais non pas comme ton frère, comme un ami ; tu m’aimeras comme ton amant, plus que tout au monde, je le sens, je le veux, tu seras à moi, à moi seul!

Alors la jeune femme eut peur et voulut fuir, mais, comme il la retenait : — Laisse-moi, reprit-elle, laisse-moi, Spiro, tu n’es pas raisonnable, laisse-moi, tu sais bien que je suis mariée.

Spiridion ne l’écoutait pas ; ramené tout à coup à cette passion furieuse que la timidité, puis la tristesse avaient étouffée, il avait tout dit à la fois, et il répétait sans rien entendre, avec un regard de feu, ces mots terribles : — Tu m’aimeras, tu seras à moi; — puis il laissa tomber sa main, et, sans ajouter un seul mot, il suivit des yeux Dionytza, qui s’éloignait en pleurant.

Ils ne se rencontrèrent plus; Spiridion n’allait même plus à l’église. Le mois de juillet arriva; on commença la récolte des raisins, et chacun hâtait son travail, dont un seul jour de pluie aurait pu perdre tout le fruit. Constantin allait et venait de Lithara à ses vignes, qui étaient les plus considérables du pays. Il y construisait une sorte de grange qui déjà lui servait d’abri contre le soleil de