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choléra, etc., sont la conséquence. Il y a donc un accord complet entre la toxicité de ces substances et le dégoût qu’elles inspirent, et il est possible que la répulsion que provoque la putréfaction soit produite aussi bien par le danger que les matières putréfiées présentent pour les êtres vivans que par l’aversion instinctive des êtres vivans pour tout ce qui, de près ou de loin, touche à la mort.

Ces observations ne pourraient probablement pas être appliquées à tous les animaux. Cependant les animaux qui ne se nourrissent pas de chair témoignent souvent de la frayeur devant un cadavre. Chacun sait combien les chevaux sont sensibles à ce spectacle. Pour presque tous les animaux, carnassiers ou non, la vue d’un individu de leur espèce étendu sans vie sur le sol a quelque chose qui les épouvante. Toutefois, quand la faim les presse, il peut se faire qu’ils en fassent leur nourriture : un proverbe dit que les loups ne se mangent pas entre eux, mais le contraire est quelquefois vrai. Certains carnassiers ne se nourrissent que de cadavres, l’hyène et le chacal par exemple. Les oiseaux de proie ne s’attaquent guère qu’aux charognes. Quant aux invertébrés, un grand nombre de mouches et de vers ne vivent que de matières organiques décomposées. Pour eux la mort est devenue la vie, et il serait absurde de supposer qu’une mouche qui va déposer ses œufs dans une matière pourrie, et s’en repaître, éprouve du dégoût pour ce qui fait sa nourriture et celle de sa descendance. A des distances prodigieuses, elle est attirée par ces odeurs, qui nous paraissent odieuses, et qui sont pour elle un parfum agréable qu’elle cherche à rencontrer. Il y a là une contradiction qui n’est qu’apparente. Pour nous, un cadavre corrompu est un objet mort, sans utilité, nuisible même, outrageant notre amour pour l’existence, tandis que ce même cadavre est pour une mouche une nourriture délicieuse; en sorte que la même force, c’est-à-dire la conservation de l’individu, produit deux instincts absolument opposés, le moyen est le même, le résultat est différent. C’est ainsi que se vérifie pour les grandes fonctions physiologiques des êtres cette loi que M. Milne Edwards a si judicieusement développée en zoologie. La nature, avare de moyens, est prodigue de résultats.

Toutefois, malgré cette distinction fondamentale, il reste encore beaucoup de points obscurs. Ainsi les chiens, quand ils rencontrent dans leur chemin une charogne infecte, se roulent sur elle avec frénésie : cet instinct, commun à tous les chiens, n’est guère explicable. Peut-être est-ce pour guérir les affections cutanées dont ils sont atteints? Pour l’homme même n’est-ce pas une singulière aberration du goût que de manger du gibier faisandé, c’est-à-dire ayant éprouvé un commencement de putréfaction, et avons-nous le droit d’être révoltés en voyant les Chinois exagérer encore cette étrange