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d’estomacs affamés qui l’engloutiraient avec joie. On a songé à l’utiliser, et depuis un certain nombre d’années l’Australie envoie sur le marché d’Angleterre des conserves en boîtes dont le prix varie entre 4 deniers 1/2 et 6 deniers la livre. Je vois dans l’essai statistique de M. Reid qu’en 1875 la Nouvelle-Galles du sud en a exporté pour 73,000 livres. Ce faible chiffre dit assez que cette marchandise, bien que se présentant dans des conditions de bon marché exceptionnelles comparativement au prix élevé de la viande en Europe, n’a pas trouvé faveur auprès du public populaire anglais. La viande doit nécessairement être cuite à l’excès, ce qui lui fait perdre une grande partie de sa saveur, et enfermée dans des graisses qui lui donnent un aspect peu appétissant. Cet esprit d’ingénieuses applications scientifiques qui est le propre de cette seconde moitié de notre XIXe siècle en Australie comme en Europe s’est mis alors à l’œuvre, et a suggéré l’idée de remplacer ces conserves désagréables à l’œil et fades au goût par la viande même, qu’on transporterait enfermée dans une chambre de navire tenue constamment au point de température voulu par le moyen de la glace fabriquée chaque jour pendant la traversée. Dans cette entreprise, à laquelle est attaché le nom d’un des plus honorables citoyens de Sydney, M. Thomas Mort, la question n’est pas de savoir si la réussite est possible scientifiquement, mais si les frais de fabrication de la glace n’élèveront pas outre mesure les prix de la viande ainsi transportée. Quoi qu’il en soit, le projet était poussé avec ardeur pendant le séjour de M. Trollope en Australie, et les journaux nous ont appris plus récemment qu’il avait reçu déjà un commencement d’exécution.

Après la laine, l’or est la grande production de l’Australie. On se rappelle encore l’émotion qui accueillit la nouvelle de l’existence de gisemens aurifères aux antipodes tombant au lendemain même des premières merveilles californiennes, mais ce qu’on sait moins, et ce qui prouve à quel point tous les événemens s’enchaînent dans notre monde actuel, c’est que cette seconde découverte fut une conséquence et une continuation de la première. Les deux hommes qui firent sortir presqu’en même temps du sol australien les premières onces d’or, Hargreaves à Ophir dans la Nouvelle-Galles du sud, et Esmond à Clunes, près de Ballaarat dans Victoria, avaient été tous deux mineurs en Californie, et c’est à l’aide de leur expérience récemment acquise des terrains aurifères que les assertions des géologues passèrent en un instant de l’état d’hypothèses à l’état de réalités. Le désarroi social qui suivit cette découverte fut pendant un temps considérable. Tous les objets de consommation s’élevèrent subitement à des prix incroyables comme par anticipation des richesses qu’on espérait, et les moindres manœuvres affichèrent