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les siens allaient se livrer, et essayait, au début même de l’insurrection, d’en rejeter la responsabilité sur le gouvernement légal de la France. Dans les conseils de la commune, il montrait de la frénésie ; son irrésolution naturelle, qu’il n’ignorait pas, le poussait aux déterminations excessives ; il avait peur de paraître faible et, afin de se donner à lui-même un brevet d’énergie, il sut toujours dépasser la violence des plus violens. Le 24 mai, accompagné d’Hippolyte Parent, de Pindy, de Dudach, frère utérin de celui-ci, il ne quitta l’Hôtel de ville qu’après avoir préparé et allumé l’incendie. Les derniers ordres d’extermination furent signés par lai ; nous le retrouverons à la mairie de Belleville lors du plus épouvantable massacre que la commune ait à se reprocher.

C’était donc le frère de cet homme qui venait de prendre la direction de Sainte-Pélagie ; il était dur, très ivrogne, toujours au comptoir des marchands de vin du quartier, peu délicat dans le choix de ses plaisirs, fort embarrassé en présence des registres, des paperasses de toute sorte qu’il voyait dans le greffe, et sachant d’autant moins comment il se tirerait de « ce grimoire » que M. Beauquesne, le greffier normal, avait eu le bon esprit de partir en emportant tous les livres de comptabilité. Il nomma deux greffiers : Clément, qui venait on ne sait d’où, et Benn, un Anglais, qui avait été garçon passementier ; tous deux n’avaient d’autre mérite que de partager ses opinions, de vouloir, comme lui, la substitution du peuple à toute autre classe de la société, la république universelle, la fédération des peuples et le collectivisme. Comme les écritures n’étaient point fort compliquées, puisque le mouvement de la prison était presque nul, les choses marchaient à peu près régulièrement ; mais Augustin Ranvier n’était point satisfait, car sa correspondance administrative lui offrait des difficultés insurmontables. Ses greffiers improvisés n’en savaient guère plus que lui à cet égard, et, quoique dans ce temps-là le service épistolaire entre la préfecture de police et les prisons ait été fort lestement simplifié, le directeur eût été incapable de faire ce que l’on nomme le nécessaire quotidien, si, sous les verrous même de Sainte-Pélagie, il n’eût trouvé l’homme qu’il lui fallait, dans la personne d’un détenu nommé Gustave-Simon Préau de Védel, ingénieur-constructeur, condamné à treize mois de prison pour escroquerie et qui faisait fonction de bibliothécaire dans la maison[1].

Préau de Védel avait sans doute conçu une mortelle aversion

  1. Préau de Védel prenait le titre de baron et s’en montrait fier. Parmi les adhérens de la commune, il n’est pas le seul qui ait sacrifié à ce genre de vanité. Rossel n’en fut point exempt, on en trouverait la preuve aux Archives nationales ; sous le no 20,098, il inscrit une demande à l’effet de faire vérifier s’il ne descend pas d’un certain Rossel, baron d’Aizaliers ou d’Aizalières.