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charpentiers, maçons, forgerons, etc., les salaires ne sont pas beaucoup plus élevés qu’en Europe, et l’on pourrait dire qu’ils sont même relativement moins élevés. Pour réussir en Australie, il faut donc être moins ouvrier qu’homme de peine, dans la pleine acception du mot, berger, tondeur de moutons, conducteur de bestiaux, terrassier, charretier, jardinier, valet de ferme, domestique à gages, et ce fait général, qui, soit dit sans calembour, est entièrement aux antipodes de nos habitudes, suffirait seul à un observateur sagace pour révéler la nature de la richesse australienne.

Cette richesse, c’est la terre, et très particulièrement l’élément pastoral. C’est donc avant tout du travail rural et pastoral que l’Australie a besoin. Ici encore nous rencontrons le squatter et son inévitable suprématie. A tous ses autres moyens d’influence, il ajoute encore celui-ci, qu’il est véritablement maître et distributeur du travail australien, que c’est par lui que des milliers d’êtres humains ont la vie du corps et l’occupation des mains. Dans un intéressant essai sur la Nouvelle-Galles du sud, un statisticien de Sydney, M. Reid, estime qu’à la fin de 1875 le chiffre des moutons paissant dans le bush australien s’élevait à plus de 52 millions, dont 24 pour la seule Nouvelle-Galles du sud, 12 pour Victoria, 6 pour l’Australie du sud, 7 pour Queensland, 2 pour la Tasmanie, et 900,000 environ pour la pauvre Australie de l’ouest. À ce chiffre formidable de bêtes à laine, il faut ajouter plus de 6 millions de bêtes à cornes réparties dans des proportions analogues aux précédentes entre les diverses colonies. Si l’on songe au nombre d’hommes nécessaires pour l’élevage, la surveillance, la tonte et l’apprêt des produits de ces immenses troupeaux, on se convaincra aisément que, bien que ce travail exige un nombre de bras relativement faible, l’offre ne peut pas être égale à la demande avec une population atteignant à peine 2 millions d’habitans, dont il faut défalquer plus des trois quarts pour toutes les catégories impropres à ce travail. La cause qui élève si haut les salaires du travail rural, c’est donc qu’il est le premier en importance de l’Australie. Nous avons donné dans le précédent chapitre les salaires du travail agricole proprement dit, voyons ceux du travail pastoral.

Pour surveiller et faire paître les troupeaux, deux systèmes sont en présence dans les runs australiens. Dans le premier, les troupeaux sont partagés entre un certain nombre de bergers et fermés de nuit dans des parcs à proximité des huttes établies dans le bush de distance en distance. C’est une vie morose et mélancolique que celle des bergers australiens dans la solitude du bush, et où se retrouvent les phénomènes moraux que nous pouvons observer chez nous-mêmes sur les populations de nos pays de pâturages. M. Trollope les rencontra généralement affligés de propensions ultra-calvinistes,