Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

littéraires que je trouvai de lui dans le voisinage, j’en rencontrai peu qui eussent trait à d’autres matières que sa passion du cheval, et la vie mélancolique, pensive, solitaire, silencieusement dévorante, que mène l’homme du bush. Son cheval avait été son compagnon dans la solitude et son grand plaisir lorsqu’il revenait dans la société. J’entendis faire de merveilleux récits des prouesses de son équitation. Comme coureur de steeple-chase, il était bien connu dans Melbourne, mais peu de personnes semblaient y avoir entendu parler de lui comme poète. C’est comme poète que j’en parle ici : il s’appelait A.-L. Gordon. »


L’Australie est donc un pays entièrement dévolu à l’utile. Il n’y a là de place que pour les ouvriers véritables, c’est-à-dire gagnant sans métaphore aucune leur vie à la sueur de leur front; quant à ceux qui voudraient la gagner à la fatigue de leurs cerveaux, c’est-à-dire par les professions libérales et les métiers qui confinent à ces professions, légistes, scribes, maîtres d’école, professeurs, institutrices, gouvernantes, M. Trollope les avertit charitablement de ne pas tenter l’aventure, si le légiste ne veut pas s’exposer à devenir berger de quelque squatter et à aller méditer dans la solitude du bush sur la fragilité des espérances humaines, et si la gouvernante ne veut pas se résigner de bonne grâce à devenir vulgaire bonne d’enfans. Chose plus curieuse, il n’y a pas là davantage de place pour les aventuriers. Les mines d’or en ont, cela va s’en dire, attiré un grand nombre, jeunes gens désireux de faire rapidement fortune, commerçans ruinés, gentlemen dévoyés; peu y ont trouvé le succès qu’ils espéraient, et, avec quelque résolution qu’ils se soient mis à l’ouvrage, ils se sont bien vite trouvés inférieurs aux ouvriers véritables, dont l’expérience et la longue habitude du travail pénible mettent de leur côté toutes les chances favorables. Les aventuriers de l’espèce malhonnête n’ont pas non plus de grasses aubaines à attendre. Sans doute il s’en est rencontré et il s’en rencontre bon nombre faisant métier d’agioteurs sous les vérandahs de Melbourne et de Sydney, ou spéculant sur la bonne foi publique en créant par des moyens fabuleux des veines de métal imaginaire, ou escroquant par le moyen de cartes pipées l’or extrait dans la journée par le mineur ; mais, en règle générale, cela doit être dit à l’honneur de l’Australie, les scènes de la Californie ne s’y sont pas renouvelées, et la fièvre des mines n’y a donné naissance ni aux mêmes scandales, ni aux mêmes vilaines mœurs. Voilà bien des catégories exclues de la fortune australienne, mais il y a mieux encore : en dépit de la croissance rapide des villes, les artisans n’y sont pas favorisés à l’égal des simples manœuvres. A l’inverse de ce qui se passe en Europe, c’est le travail le plus grossier qui est le plus payé. Pour les métiers qui exigent adresse, habileté, apprentissage :