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vraies ou fausses, soutiennent la mémoire, et de même les mots célèbres, authentiques ou controuvés. Les dates sont arides et ne valent que par leur enchaînement continu, les faits sont souvent dépourvus d’un intérêt qui leur soit propre et ne valent que par leur rapprochement, les anecdotes, bien contées, et les mots, bien placés, se suffisent à eux-mêmes. Tel mot que l’on prête à Molière, absolument faux, et pour cause : « Messieurs, nous comptions avoir l’honneur de vous donner aujourd’hui la seconde représentation de Tartuffe, mais M. le premier président ne veut pas qu’on le joue, » fait naturellement fortune, et telle anecdote invraisemblable comme celle qui nous représente Molière partageant « l’en-cas de nuit » du roi se pousse aisément dans le monde, tandis qu’on ne voit pas bien, au premier abord, quel grand intérêt de savoir si Molière a fondé l’Illustre-Théâtre en 1643 ou 1645, s’il a passé jamais au Mans et s’il a traversé Bordeaux. Il est donc tout naturel qu’en pareil sujet les dates et les faits soient la dernière chose où l’on se soit avisé de regarder. Les scrupules d’érudition sont une invention de nos jours. Mais ce que l’on ne conçoit peut-être pas aussi facilement, c’est qu’après deux cents ans de critique et d’histoire la discussion soit encore ouverte sur l’estime que les contemporains de Molière ont pu faire de lui, la controverse indécise sur les rapports du poète avec le roi.

Les uns veulent que les contemporains, tout en applaudissant Molière, cependant n’aient pas connu son prix et n’aient pas deviné dans l’auteur de Tartuffe « le plus rare écrivain du siècle. » Les autres soutiennent que Molière, de son vivant, fut admiré comme il le méritait, et qu’au lendemain de sa mort un Bussy-Rabutin ne fut pas seul à penser que « personne dans le siècle ne prendrait la place de Molière, et que peut-être le siècle suivant n’en verrait pas un de sa façon. » Ceux-ci prétendent que Louis XIV n’estima pas Molière en somme beaucoup plus haut que Scaramouche, et ceux-là veulent que le poète, entre les mains du roi, n’ait été rien moins qu’un instrument de règne. C’est ici l’inconvénient de la recherche même. On exhume tant de textes ignorés, on ramène au jour tant de témoignages obscurs et depuis longtemps oubliés, on découvre tant de faits jusqu’alors inaperçus, que la confusion finit par s’y mettre, et les opinions les plus diverses par trouver leur justification. Voulons-nous établir que les contemporains de Molière l’ont méconnu? Rien n’est plus simple : voici d’abord le fatras des critiques dirigées contre lui; voici le flot de ses détracteurs :

En habits de marquis, en robes de comtesses,


et les railleries des beaux esprits, et la foule des auteurs jaloux, de