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sur les Mémoires de Mme de Feuquières, fille de Mignard; mais c’est l’avancer de huit ou dix mois que de la placer au printemps de 1657. M. Taschereau l’avait bien datée, qui la reculait jusqu’au mois de décembre. En effet, Mignard ne quitta l’Italie que du 10 octobre 1657, passa, en débarquant en France, près d’un mois à Marseille et ne put arriver que dans les derniers jours de l’année à Avignon, chez Nicolas Mignard, son frère. Enfin, au mois de mai 1657, une lettre du prince de Conti, citée récemment par M. Louis Lacour, semble établir que Molière n’était ni à Orange ni à Avignon, mais à Lyon. « Il y a ici, écrit le prince, de Lyon, le 15 mai, au P. de Ciron, des comédiens qui portaient autrefois mon nom : je leur ai fait dire de le quitter, et vous pensez bien que je n’ai eu garde d’aller les voir. » Jamais autres comédiens que Molière et sa troupe n’ont porté le nom du prince de Conti. Bien plus, et malgré l’injonction du protecteur qui les abandonne, c’est encore sous le nom de comédiens de monseigneur le prince de Conti qu’ils se présentent et qu’ils jouent à Dijon, en 1657. Ils reviennent à Lyon et y passent un dernier hiver, 1657-1658. Le moment approche d’aller demander à Paris la consécration de la renommée qu’ils se sont acquise dans les provinces; leurs dernières visites sont pour Grenoble, Avignon, Lyon une dernière fois; à Pâques 1658, ils émigrent enfin du midi, vont achever l’été à Rouen, y rencontrent une autre troupe dont le chef, Du Groisy, va bientôt devenir l’un des leurs, et rentrent enfin à Paris au mois d’octobre 1658. On persuade à Monsieur, frère du roi, de prendre la troupe du prince de Conti sous sa protection, il y consent, lui permet de porter son nom, lui promet une pension qu’il ne paiera jamais, et « le 24e jour d’octobre 1658, cette troupe commença de paraître devant leurs majestés et toute la cour sur un théâtre que le roi avait fait dresser dans la salle des gardes du vieux Louvre. » Les peintres qui nous ont représenté si souvent, en dépit de l’histoire et de la vraisemblance, Louis XIV et Molière assis et soupant face à face auraient bien dû nous donner un crayon de cette scène : Mazarin assis au premier rang, Louis XIV accoudé sur le fauteuil du cardinal et M. de Molière sur le théâtre « remerciant sa majesté de la bonté qu’elle avait eue d’excuser les défauts de la troupe[1]. »

La vie de Molière à partir de cette date ou du moins l’histoire de ses ouvrages et de cette incomparable succession de chefs-d’œuvre, qu’il donne jusqu’à trois dans la même année, l’accueil que leur fit le public, sont choses depuis longtemps assez bien connues. Ce n’est pas qu’il ne reste encore des trouvailles à faire et dignes de

  1. Registre de La Grange'', à la date du 26 octobre 1660, il est vrai.