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ne soit qu’un prête-nom de Molière, la question serait délicate à résoudre. Mais c’en est fait de la légende, et nous saurons désormais que dès cette époque la troupe n’était pas seulement à l’abri du besoin, elle était riche. Nous avons en outre à l’appui le témoignage de l’empereur du burlesque, Charles Coypeau d’Assoucy, qui dans le récit de ses lamentables aventures a consigné le souvenir très reconnaissant de la grasse hospitalité qu’il trouva pendant près d’un an sous le toit et à la table de « Molière et de MM. les Béjart. » Il les rencontra, comme ils venaient de regagner Lyon, vers le milieu d’avril 1655. Dans l’hypothèse de M. Despois, ce serait vers cette date et quelque temps avant l’arrivée de d’Assoucy qu’il faudrait placer la première représentation de l’Étourdi. D’Assoucy, qui serait bien étonné de passer pour une autorité, suivit ses hôtes à Avignon, puis à Pézenas, où ils se transportèrent pour une seconde session des états, 1655-1656, et séjournèrent du mois de novembre au mois de février. Il ne quitta ces honnêtes gens, comme il les appelle, u si dignes de représenter dans le monde les personnages des princes qu’ils représentent tous les jours sur le théâtre, » qu’au mois d’avril ou de mai 1656, à leur arrivée dans Narbonne. Certes c’était un triste sire que d’Assoucy ; pourtant c’est un hasard heureux pour l’histoire de Molière que le récit du personnage soit parvenu jusqu’à nous. En effet, depuis un acte daté de Lyon, 29 avril 1655, jusqu’au mois de décembre 1656, on ne retrouve que deux actes authentiques et deux preuves des pérégrinations de Molière. C’est un reçu, qui passe pour être écrit tout entier de sa main, d’une somme de 6,000 livres payée le 24 février 1656, à Pézenas, par le « thrésorier de la bource des états de Languedoc, » et, le 3 mai 1656, un accord intervenu, devant le juge de Narbonne, entre Madeleine Béjart, Molière et les étapiers du Languedoc au sujet de l’assignation de 1655, qui n’avait pas encore été payée.

De Narbonne, pour une troisième tenue des états, Molière se rendit à Béziers. Il y donna, soit au mois de novembre, soit au mois de décembre 1656 la première représentation du Dépit amoureux. Il paraîtrait que cette fois les états montrèrent moins de générosité qu’ils n’avaient fait à Pézenas et à Montpellier. Les billets même que Molière avait adressés gratuitement aux députés lui furent assez insolemment retournés avec notification d’une défense expresse faite « à messieurs du bureau des comptes de, directement ou indirectement, accorder aucune somme aux comédiens. » Le prince de Conti n’était plus là : les états se vengeaient sur ses créatures de la dureté militaire avec laquelle le prince avait accoutumé de les traiter.

On suppose que, sur cet affront, Molière, justement blessé, quitta Béziers presque aussitôt et sans prendre seulement le temps d’épuiser