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Le déplacement est coûteux, la guerre civile est partout : si Molière et ses compagnons n’hésitent pas, et même s’ils s’empressent, évidemment c’est qu’ils n’osent pas désobéir à l’appel d’un ancien protecteur. Et si maintenant la correspondance administrative du gouverneur avec les jurats de Bordeaux ne fait pas mention du passage des comédiens dans la capitale de la Guyenne, c’est que Molière a joué devant le duc, pour la première fois, en 1648, à la fin de l’année, vers l’époque même où commencent les troubles de Bordeaux, pour le duc lui seul et sa cour de Cadillac. On n’a donc pas eu besoin de solliciter des jurats une autorisation qu’ils n’avaient pas à donner. Ce n’est là qu’une hypothèse, mais pour que cette hypothèse soit à peu près vérifiée, il suffira de constater sur les lieux si le duc d’Épernon a en effet passé le mois de février 1650 dans la ville d’Agen.

Ainsi Nantes certainement, Fontenay-le-Comte et Limoges, selon les apparences, Angoulême et Bordeaux peut-être, Toulouse, Narbonne, Agen enfin sans contestation possible, marqueront, de 1648 à 1650, les principales étapes du voyage de Molière.

Mais aussitôt nous perdons une seconde fois sa trace, et l’obscurité s’épaissit de nouveau. Nous savons cependant qu’il était à Paris au mois d’avril 1651. L’inventaire des papiers de son père, Jean Pocquelin, en fait foi. Une date en deux ans, du mois de février 1650 au mois de décembre 1652, c’est peu de chose, et le moyen de s’y résigner? On a donc supposé qu’au départ de Paris, où sans doute Molière, en même temps qu’il réglait des affaires de famille, avait remonté sa troupe, selon l’usage des directeurs errans, nos comédiens, avant d’atteindre Lyon, se seraient arrêtés quelque temps à Poitiers. La cour y venait d’arriver. On était en pleines luttes civiles, Mazarin était hors de France, Condé soulevait la Guyenne, c’était à lui, comme au plus redoutable, qu’Anne d’Autriche avait résolu de marcher, et courageusement elle avait pris position dans cette province de Poitou, comme au milieu même de l’insurrection. Cependant ni la guerre ni l’universelle détresse n’interrompaient les plaisirs ni les fêtes. Il serait fort possible que la troupe de Molière eût contribué pour sa part aux divertissemens royaux, mais nous n’en avons pas de preuves, ou plutôt nous avons un commencement de preuves du contraire. Les Mémoires de Mademoiselle nous apprennent en effet que pendant l’hiver de 1653 elle vit jouer à Orléans des comédiens qui a l’hiver de devant avaient suivi la cour à Poitiers et à Saumur, où ils avaient même obtenu beaucoup d’approbation de toute la cour. » Or dès les premiers mois de 1653, en février, Molière était certainement à Lyon, puisqu’il signait au mariage de René Berthelot, dit Du Parc, avec Marquise