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une image de la vie réglée, saine, facile d’il y a deux siècles passés.

C’est au sein de cette abondance que naquit Molière, probablement dans les premiers jours du mois de janvier 1622. La Comédie-Française célèbre l’anniversaire de son illustre ancêtre à la date précise du 15; toutefois ce n’est là que la date du baptême, et il reste possible que Molière fût ne quelques jours auparavant. L’année sera considérée comme à peu près certaine, l’acte de mariage de Jean Pocquelin et de Marie Cressé portant la date du 27 avril 1621. Molière perdit sa mère de bonne heure, en 1632; il n’avait que dix ans à peine. Quelques endroits de son théâtre, où la franchise toute nue de l’expression et la liberté très crue de la plaisanterie blessent encore les oreilles délicates, trahissent peut-être ce défaut d’éducation maternelle[1]. Son père se remaria; mais ce n’est pas une raison de croire que, sous la férule d’une belle-mère, l’enfance de Molière ait été si malheureuse et si durement traitée qu’il en ait gardé une impérissable rancune, et que, quarante ans plus tard, ce soit la seconde femme du tapissier Pocquelin, Catherine Fleurette, qu’il aurait représentée sous les traits odieux de Béline, dans le Malade imaginaire. On éprouverait une pénible surprise à voir Molière, Molière malade, Molière mourant, venger si cruellement les injures de l’enfant Pocquelin. On pourra cesser aussi de s’apitoyer, comme l’ont fait quelques-uns, sur le sort de cet enfant de génie condamné par un père barbare à l’apprentissage du métier de tapissier, car enfin ce n’est que l’événement qui déclare le génie, la longueur du temps qui le consacre, et l’honnête Pocquelin n’est pas seulement excusable, il est louable d’avoir voulu mettre son fils en état d’exercer un métier lucratif et de tenir une charge honorable. Au surplus, si Molière commença ses études d’humanités assez tard, il les fit du moins complètes et solides. Un seul de ses maîtres, Gassendi, paraîtrait avoir eu sur l’élève une influence dont on retrouve quelques traces dans la comédie du poète. Parmi ses compagnons d’études, il se lia surtout avec Chapelle. Quant au prince de Conti, plus jeune que lui de huit ans environ, si l’on admet qu’ils se rencontrèrent au collège de Clermont, sur les bancs des mêmes classes, c’est tout ; et supposer que de cette rencontre entre le fils du tapissier et l’un de ceux que La Bruyère appelait « les enfans des dieux, » il ait pu naître, non pas même un semblant d’amitié, mais une ombre de camaraderie, ce serait méconnaître

  1. Comme en ces matières il convient d’être sceptique, nous nous empresserons pourtant de rappeler que l’auteur de Bérénice et d’Iphigénie avait environ treize mois quand il perdit sa mère.