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corroyeurs ; cela ne découragea pas la femme, qui commença la recherche de Serizier avec une ténacité de Peau-Rouge. Chaque matin et chaque soir, aux heures de l’entrée et de la sortie des ouvriers, elle allait rôder autour des maisons de corroierie dont elle avait relevé le nombre et connaissait l’adresse. C’était la tâche quotidienne qu’elle s’était imposée, elle n’y faillit jamais. Cependant les semaines passaient et les mois aussi ; Serizier restait introuvable. Enfin le 17 octobre, dans une des rues qui avoisinent la halle aux blés, elle aperçut celui qu’elle cherchait. Était-ce bien lui ? Au lieu de n’avoir que les moustaches et la mouche, il portait toute sa barbe ; il paraissait plus petit, comme tassé sur lui-même ; elle ne s’y trompa point cependant, car elle reconnaissait son regard mobile, encore plus inquiet que d’habitude. Le lendemain matin elle revint, elle le vit encore ; le collet de sa veste était relevé, il marchait vite : il n’y avait plus à en douter, c’était bien lui ; dans toute la rue, il n’existait qu’un seul atelier de corroyeur : c’était là qu’il travaillait. Deux heures après, il était arrêté.

Il se laissa faire sans mot dire et fut conduit à la préfecture de police, au poste de la permanence, d’où, après une simple constatation d’identité, il fut expédié au dépôt. Deux agens le conduisaient, il leur dit : — J’en ai assez fait pour avoir la tête lavée avec du plomb, mon affaire est claire. C’est égal, je ne regrette rien. — Il fut en effet condamné à mort le 17 février 1872 par le 6e conseil de guerre. Il adressa à qui de droit un recours en grâce dans lequel il faisait valoir le service que, le 19 mars, il avait rendu au général Chanzy en le protégeant contre la foule ameutée. Le bruit courut dans la région de la place d’Italie qu’il ne serait point exécuté. Il se produisit alors un fait qui est peut-être sans précédens. Les habitans du quartier, qui se rappelaient encore la terreur sous laquelle ils avaient vécu, signèrent une pétition pour demander que nulle commutation de peine ne fût accordée à l’ancien chef de la 13e légion et pour réclamer, comme un exemple et comme une juste expiation, qu’il fût exécuté devant la prison disciplinaire du secteur, sur la place même où il avait présidé au massacre des dominicains. Il est inutile de dire que l’on ne fit pas droit à cette requête étrange ; mais les crimes de Serizier étaient trop abominables pour que la clémence souveraine pût descendre jusqu’à lui. Parmi les 110 individus condamnés à mort après jugement contradictoire par les conseils de guerre, Bobèche et Serizier furent au nombre des 26 à qui nulle grâce ne dut être accordée. Ils furent tous deux fusillés sur le plateau de Satory,


MAXIME DU CAMP.