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— Le groupe de ces assassins faisait face à la porte de la maison disciplinaire. Bobèche, qui tenait à la main son fils âgé de six ans, — il faut commencer l’éducation des enfans de bonne heure, — pénétra dans la geôle et, ouvrant la porte de la chambrée, il cria avec un gros blasphème : — Allons ! les calotins, arrivez, et sauvez-vous, il n’est que temps. — Les dominicains se levèrent ; un d’eux, se tournant vers les autres détenus, leur dit : — Priez pour nous ! — Ils s’assemblèrent près de l’issue donnant sur l’avenue d’Italie. Bobèche sortit sur le trottoir, ayant toujours son fils auprès de lui ; il s’adressa aux pères de Saint-Dominique et leur cria : — Sortez l’un après l’autre ! — Le premier qui s’avança fut le père Cotrault ; il n’avait pas fait trois pas qu’il était frappé d’une balle ; il leva les bras vers le ciel, dit : — Est-il possible ? — et tomba. Le père Captier se tourna vers ses compagnons, et d’une voix très douce, mais très ferme : — Allons, mes enfans ! pour le bon Dieu ! — Tous à la suite s’élancèrent en courant à travers la fusillade. Une des femmes, la plus jeune, une petite blonde assez jolie, s’était jetée au milieu de la chaussée, au risque de recevoir des coups de fusil ; elle chargeait et déchargeait son chassepot, criant : — Ah ! les lâches, ils se sauvent ! — Ce ne fut pas une boucherie, ce fut une chasse. Le pauvre gibier humain se hâtait, se cachait derrière les arbres, courait le long des maisons : aux fenêtres, des femmes applaudissaient ; sur les trottoirs, des hommes montraient le poing à ces malheureux ; tout le monde riait. Quelques-uns des plus alertes, plus favorisés du sort que les autres, purent se précipiter dans les rues latérales et échapper à la fusillade. Douze dominicains furent abattus presque devant la chapelle Bréa ; un d’eux, secoué par un mouvement spasmodique, agita la tête, Serizier cria : — Tirez, mais tirez donc, ce gueux-là grouille encore ! — On se hâta de lui obéir ; le cadavre reçut trente et un coups de fusil.

Serizier était content, mais non pas satisfait. Il ordonna à ses hommes, à ses fédérés du 101e de l’attendre, car la besogne n’était pas finie. Il rentra dans la geôle, prit lui-même le livre d’écrou et se mit en devoir de faire l’appel de ceux qu’il voulait tuer ; mais il tenait à ne pas les assassiner sans y mettre les formes. En imitation de ce qu’il avait déjà vu faire et « pour se conformer aux lois, » il déclara qu’on allait installer une cour martiale, se nomma naturellement président et prit pour assesseur, pour accusateur public, un certain Terna, qui avait fait fonction de surveillant adjoint à la prison disciplinaire du IXe secteur. Un vieux lieutenant nommé Busquant allait et venait d’un air indifférent, sortant de la geôle, y rentrant, paraissant surveiller ce qui se passait à l’extérieur et échangeant parfois un coup d’œil avec Serizier. Au moment où,