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l’intervention de M. Miot, qui sut toujours rester un excellent homme, elles purent communiquer entre elles et ne furent point soumises à un régime trop rigoureux. Ces femmes, habituées à vivre entre elles, s’aimaient beaucoup, et, accoutumées aux multiples pratiques d’une dévotion méticuleuse, ne comprenaient rien à ce qui leur arrivait. Le directeur Mouton essaya d’être rigoureux envers elles, d’enfler sa voix éraillée, de leur faire un petit cours de philosophie ; il n’y réussit pas et fut plus touché qu’il n’aurait voulu le paraître. La supérieure, mère Benjamine, âgée de soixante-neuf ans, avait été placée dans une chambre séparée avec l’économe et la directrice du pensionnat ; elle désira faire une visite à la communauté réunie dans un dortoir voisin ; Mouton y consentit et la conduisit lui-même. Lorsqu’il vit toutes les religieuses s’incliner devant « la révérende mère » et lui baiser les mains, il fut très ému et se mit à pleurer, car cet ivrogne avait le vin tendre et en somme un bon cœur. Dix des dames de Picpus sortirent le 17 et le 18 mai, sur l’intervention directe de M. Washburne, ministre des États-Unis d’Amérique. Il faut rendre cette justice à Protot et à ses juges d’instruction, ils n’aimaient point à se créer d’affaires internationales, et dès qu’un diplomate réclamait un détenu peu important, celui-ci était immédiatement rendu à la liberté[1].

Les femmes de sergens de ville et de gendarmes, détenues en assez grand nombre dans le quartier des prévenues et des jugées, prêtaient l’oreille à tous les bruits du dehors ; elles trouvaient que leur incarcération durait bien longtemps, et, dans leur ignorance des événemens extérieurs, elles ne savaient que penser de l’avenir. Parfois elles réussissaient à s’emparer d’un journal apporté par une surveillante, et fiévreusement elles lisaient les nouvelles, qui toujours leur semblaient détestables, car jamais la presse ne mentit aussi impudemment que pendant la commune : les dépêches télégraphiques n’accusaient que des succès, les Versaillais n’éprouvaient jamais que des défaites, et les fédérés étaient incessamment vainqueurs. Le 22 mai cependant on remarqua que le directeur Mouton avait le front soucieux, qu’il se parlait à lui-même et se disait judicieusement : « Ça devait finir comme ça ! » On en conclut que les troupes françaises opéraient dans Paris, et que la délivrance était prochaine. Méphisto avait prudemment disparu, et La Brunière pensait peut-être avec tristesse que, s’il eût découvert le fameux souterrain, il aurait pu sans péril se rendre à Argenteuil. Le 22 mai, dans la soirée, il y eut une alerte à la direction et au greffe. Des

  1. . Paschal Grousset, en qualité de délégué aux relations extérieures, employa aussi toute son influence à protéger les étrangers ; son intervention fut parfois fort utile. Lord Lyons et M. Washburne le reconnurent en faisant en sa faveur, après la chute de la commune, une démarche qui resta inutile.