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instincts de férocité qui le dominaient. Là même où, pendant l’insurrection de 1848, on avait torturé, massacré le général Bréa et le capitaine Mangin, il se chargea de démontrer quels progrès avait faits ce que l’on aime à appeler « l’adoucissement des mœurs. » C’est dans l’avenue d’Italie, no 38, que l’on avait installé la prison disciplinaire relevant du IXe secteur. De cette prison, Serizier avait fait sa geôle particulière, et y enfermait ceux qu’il nommait « ses détenus. » Au dernier jour, il la vida par le massacre.

Serizier avait été un condamné politique de l’empire ; au mois de septembre, il était réfugié en Belgique, il revint promptement et eut quelque importance pendant le siège, ainsi que nous l’avons déjà vu, surtout à la journée du 31 octobre et à celle du 22 janvier. Après le 18 mars, nommé secrétaire de Léo Meillet, puis délégué de la commune à la mairie du XIIIe arrondissement, chef de la 13e légion le 1er  mai, il commandait douze bataillons qui se battirent très vaillamment à Issy, à Châtillon, aux Hautes-Bruyères. Mais parmi ces bataillons il en est un qu’il choyait par-dessus les autres, sorte de bataillon personnel, composé d’amis, de compagnons, et qui était le 101e, « le légendaire 101e bataillon, qui fut aux troupes de la commune comme la 32e brigade à l’armée d’Italie », a dit M. Lissagaray dans son Histoire de la commune. Ardent, grand parleur, gros buveur, ouvrier sans courage, vivant d’aumônes extorquées à l’assistance publique, Serizier exerçait une réelle influence sur les gens incultes et violens dont il était entouré. Brutal et hautain, il savait se faire obéir et avait terrifié tout le XIIIe arrondissement, qui tremblait devant lui. Sa haine contre le clergé eût été comique, si elle n’avait produit d’épouvantables catastrophes ; il avait pris plaisir à souiller quelques églises par d’immondes orgies et faisait procéder à la vente à l’encan des objets contenus dans la chapelle Bréa, lorsque l’entrée des troupes françaises à Paris vint l’interrompre. Il fut non-seulement assassin, mais incendiaire ; c’est lui qui fit allumer le feu à la manufacture des Gobelins. C’était un homme de taille moyenne, carré des épaules, l’œil très mobile et inquiet, dédaignant volontiers les soins de propreté, la voix rauque éraillée par l’eau-de-vie, le front bas, la lèvre lourde, le menton fuyant, une tête de bouledogue mâtiné de mandrill. Lorsqu’il était en colère, ce qui lui arrivait souvent, il ne parlait pas, il aboyait.

L’objectif principal de Serizier était l’école d’Albert le Grand, fondée par les dominicains dissidens dans le XIIIe arrondissement, non loin du fort de Bicêtre et de la redoute des Hautes-Bruyères. La maison des dominicains d’Arcueil, comme on l’appelait ordinairement, était là dans un mauvais voisinage, car elle confinait aux