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avec eux. Caullet était fort perplexe. Les trois greffiers et le brigadier, un vieil Alsacien intrépide nommé Adam, comprirent qu’il fallait louvoyer, et que l’on risquerait de se briser en attaquant directement l’obstacle. On fit bonne figure aux hommes du secteur, on leur expliqua et ils comprirent, tant bien que mal, que leur présence au rond-point, dans les corridors, neutraliserait le service ; on redoutait fort de les voir se promener en armes devant les cellules, car, dans ce temps-là, les fusils partaient volontiers tout seuls, et on les décida à établir leur poste dans la chapelle. Ils y furent très mal couchés, car on n’avait pas de lits à leur donner ; ils y furent très mal nourris, encore moins abreuvés, car la prison ne recevait que les vivres déterminés pour les détenus. En causant avec eux, et sans paraître y attacher d’importance, on leur disait que les prisons étaient directement du ressort de Ferré, délégué à la sûreté générale, qui ne plaisantait pas, ne supportait pas que l’on empiétât sur son pouvoir et ferait peut-être payer cher, non pas à Serizier, mais aux subordonnés de celui-ci, la fantaisie singulière qu’ils avaient eue de se substituer à son autorité. Le lendemain, 20 mai, ils étaient fatigués, ennuyés, altérés. On raconta négligemment devant eux que Ferré était attendu dans la maison où il avait annoncé sa visite ; les uns eurent faim, les autres eurent besoin d’aller chez eux, tous eurent soif, et, peu à peu, un à un, ils décampèrent et ne revinrent plus. Encore une fois la prison était rendue au personnel régulier.

Le dimanche 21 mai, des surveillans sortis dans la rue de la Santé lurent un placard que l’on venait d’afficher sur les murailles : « Les habitans de Paris sont invités à se rendre à leur domicile sous quarante-huit heures ; passé ce délai, leurs titres de rente et grand-livre seront brûlés. » — Cet arrêté était l’œuvre d’un nommé Grelier, blanchisseur, et membre du comité central. Un gardien dit : — S’ils en sont là, c’est que leur fin approche, nous n’avons plus longtemps à les supporter. — En effet, la fin approchait ; mais, avant d’être délivrée, la Santé eut à traverser bien des péripéties redoutables.


III. — L’ORDRE D’EXECUTION.

Le 22 mai, le jour même où, dans le Journal officiel, on put lire, sous la signature de Delescluze, une proclamation emphatique : « Place au peuple, aux combattans aux bras nus ! l’heure de la guerre révolutionnaire a sonné ! » et où l’on fut un peu surpris de voir cet appel désespéré aux armes côtoyé par l’avis pacifique : « Le public est averti que les musées du Louvre seront fermés pendant quelques jours pour cause majeure ; la commission fédérale des artistes