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mystique atteint de théomanie, inventeur d’une pommade nouvelle et d’une nouvelle religion appelée le fusionisme, Babieck pleurait de joie à l’idée de rendre le général Chanzy à la liberté. « Vous l’aimez donc beaucoup ? lui demanda le général Cremer. — Je ne l’ai jamais vu, » répondit Babieck en sanglotant. — Celui-là non plus n’était point méchant ; c’était un simple. Si Allix, l’inventeur des escargots sympathiques, et lui avaient dirigé le gouvernement de la commune, ils n’auraient choisi pour otages ni les généraux ni les archevêques, mais, afin d’assurer leur propre liberté, ils auraient fait arrêter tous les médecins aliénistes.

Ce fut le soir, fort tard, vers minuit, que Babieck et le général Cremer se présentèrent à la Santé ; le directeur et le greffier Laloë firent immédiatement toutes les formalités pour lever l’écrou, sans prévenir les fédérés qui dormaient dans leur poste. Des vêtemens bourgeois avaient été envoyés aux généraux prisonniers ; ils sortirent, déguisés pour ainsi dire, afin d’éviter toute nouvelle collision avec les gardes nationaux, et ils purent emmener avec eux le capitaine Ducauzé de Nazelles[1]. Le certificat de libération fut signé sans opposition par le délégué du secteur, Quinard, qui n’osa point résister à un ordre de son propre général, du général Émile Duval. Le général Chanzy n’en était point quitte encore ; il devait, avant d’être mis définitivement en liberté, comparaître avec le général Cremer devant le comité central. Dans sa déposition devant la commission d’enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, le général Cremer a donné du comité central une peinture qui doit être reproduite : « C’était un spectacle navrant de voir ces salles de l’Hôtel de Ville pleines de gardes nationaux. Quand on montait par le grand escalier, il y avait dans la grande salle tout ce que l’orgie peut avoir de plus ignoble, des hommes et des femmes ivres ; on traversait deux ou trois autres salles plus calmes, et l’on arrivait à une autre qui donne à l’angle de l’Hôtel de Ville et du quai. C’est là que le comité central tenait ses séances. Ils se prenaient aux cheveux au bout des cinq premières minutes de délibération ; il n’y a pas de cabaret qui puisse donner idée des délibérations du comité central ; tout ce qu’on a imaginé d’excentrique dans ces derniers temps pour les petits théâtres n’est rien à côté de ce que j’ai vu… Ils n’étaient jamais plus de six ou sept en délibération. Les uns sortaient, les autres entraient ; il y en avait qui étaient ivres, ceux-là étaient les plus assidus, parce qu’ils ne pouvaient pas s’en aller. Il y en a un de moyenne taille, trapu, ayant les cheveux longs grisonnans,

  1. « 25 mars 1871 : Ordre de mettre en liberté et de partir immédiatement au citoyen Ducauzé de Nazelles. — Signé : le général E. DUVAL. »