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près de la chapelle, lorsque des fédérés du 101e bataillon, qui le matin avaient pris la garde du poste, se présentèrent chez le directeur et lui déclarèrent qu’ils voulaient voir le cadavre. Tout ce que M. Lefébure put obtenir fut que l’on attendît la fin de la cérémonie religieuse. Lorsque celle-ci fut terminée, on décloua le léger cercueil, on souleva la serpillière, on découvrit le visage, que les fédérés purent contempler à leur aise ; ils ne semblaient pas très persuadés, se regardaient entre eux et hochaient la tête ; un d’eux toucha le mort et dit : « Il est froid. » cette expérience sans doute ne parut pas suffisante, car un peloton suivit le corbillard jusqu’au cimetière d’Ivry, jusqu’au champ des navets. Lorsque six pieds de terre eurent été versés sur la bière, ils semblèrent rassurés et se dirent : « Décidément ce n’était pas Chanzy. »

Le même soir, le directeur avait été littéralement mis au secret dans son cabinet ; les fédérés s’y étaient établis, décachetaient les lettres, recevaient les visites, donnaient des ordres et devenaient une sorte de direction multiple qui ne facilitait pas le service. Dans la soirée, le général Cremer revint avec deux autres personnes, portant une autorisation du comité central, pourvoir le général Chanzy, Les fédérés renouvelèrent leurs écœurantes objections, ils parlaient tous à la fois de trahison certaine, d’évasion possible et résolurent, comme toujours, d’aller consulter les officiers du secteur. Le commandant Cayols vint lui-même examiner la permission, la retourna dans tous les sens : elle était précise, ne pouvait laisser place à aucun doute ; à onze heures du soir, il prend bravement son parti et emmène les visiteurs désappointés à la préfecture de police, afin de consulter Duval. Personne ne revint, car les délégués n’obéissaient pas plus au comité central que les officiers n’obéissaient aux délégués. Cette odieuse comédie se renouvela pour le général Chanzy jusqu’au jour de son élargissement. M. Lefébure était déjà libre ; le 23 mars, au matin, il fut destitué et remplacé par Augustin-Nicolas Caullet, auquel sa parenté avec Duval méritait cette bonne aubaine. La nomination portait la signature de Raoul Rigauît. M. Lefébure présenta son personnel à son successeur, lui disant : « Ce sont des hommes honnêtes, dévoués, connaissant très bien le service et auxquels on peut se fier ; je vous les recommande. » Fort heureusement pour les détenus de la Santé, Caullet tint compte de l’observation ; tout le personnel resta dans la prison, et nul otage n’y fut sacrifié[1].

  1. Je lis dans un rapport écrit, dès la fin de mai 1871, par M. Lefébure : « Mon personnel qui, en partie, était disposé à me suivre quand j’ai quitté la Santé, mais qui est resté parce que j’ai exprimé l’avis que son maintien pourrait être utile, s’est admirablement conduit pendant tout le temps qu’a duré le règne de la commune. » Parmi les employés qui se sont le plus distingués, M. Lefébure cite, après les trois greffiers, le brigadier Adam, le sous-brigadier Luzeau, les surveillans Laherèrre, Finck, Croccichia, Santoni, Danielli, Baudon et Carette. Il n’est que juste que le nom de ces braves gens soit prononcé devant le public.