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M. Lefébure, le directeur régulier de la Santé, était accouru ; c’est un homme qui n’est plus jeune, de taille moyenne, d’une extrême mansuétude, intelligent, rompu par une longue pratique à l’administration des prisons, très ferme, très résolu, sous une apparence fort douce ; ayant quelquefois l’air de chercher ses mots et les trouvant toujours ; n’aimant point les émeutes, mais sachant ne pas reculer devant elles. Il demanda d’abord en vertu de quel mandat ces détenus étaient amenés dans la maison. On lui remit immédiatement quatre paperasses : Ordre au directeur de la prison de la Santé de recevoir en dépôt le général Chanzy jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné ; le directeur répond sur sa tête de la garde de ses prisonniers. — Pour E. DUVAL : CAYOLS ; Paris, le 19 mars 1871. — Timbre : République française. État-major de la garde nationale, XIIIe arrondissement ; — un ordre identique concernant MM. de Langourian, Ducauzé de Nazelles et Gaudin de Villaine. Ces mandats d’arrestation étaient d’une flagrante illégalité, mais ils se trouvaient appuyés par une telle force armée qu’il n’était pas possible de se refuser à les exécuter : c’eût été exposer sa vie et celle des prisonniers ; M. Lefébure le comprit, et dès lors, connaissant bien les foules, sachant qu’elles s’apaisent souvent lorsqu’elles n’ont plus sous les yeux l’objet de leur haine irraisonnée, il résolut de faire incarcérer les quatre détenus le plus rapidement possible. Ce n’était point aisé, car les fédérés les serraient de près et ne paraissaient guère disposés à les perdre de vue. L’hiver, sans charbon et sans bois, avait été très dur à la Santé ; pour éviter à ses détenus le froid des longs corridors, M. Lefébure avait, dans les premiers jours de novembre 1870, fait construire des cloisons en planches à l’entrée des galeries cellulaires ; la porte la plus voisine du rond-point, où se tenaient les officiers entourés des gardes nationaux, était celle de la quatrième division. Sur un signe des yeux fait par M. Lefébure au brigadier Adam, compris par celui-ci, les généraux Chanzy, de Langourian et leurs deux aides-de-camp furent brusquement saisis par les gardiens et entraînés vers la porte qu’un surveillant se tenait prêt à ouvrir ; Serizier, jurant comme un damné et lançant ses énormes poings en avant, fendit la foule qui criait de nouveau : « À mort ! à mort ! » Les prisonniers franchirent la cloison, dont la porte fut immédiatement refermée derrière eux ; ils étaient sauvés. M. Lefébure avait remarqué l’influence que Serizier exerçait sur les fédérés ; il lui dit que son éloquence seule pouvait faire évacuer la prison et permettre d’assurer le salut des officiers auxquels il s’intéressait. Serizier ne se le fit pas répéter ; il lâcha une allocution : « Citoyens… le devoir… la patrie… la réaction… la république… la victoire du peuple… la justice du peuple… la grande âme du peuple… la générosité