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d’heure... Souvenez-vous aussi, je vous prie, de faire bien croire à Rome que l’argent qui est entre les mains de M. Géricot[1] n’est que pour les dépenses des courriers et pour la vôtre. Prenez aussi garde que les négociations que vous faites avec les banquiers de Rome soient si cachées que cela ne fasse pas paraître que vous avez tant d’argent à donner. Vous savez que cela aurait plusieurs conséquences. Si l’on tire quelque lettre de change fort considérable, tâchez d’en donner avis auparavant... » — «...J’ai eu avis par un de mes amis, disait-il à l’abbé Charrier, dans une lettre en date du 25 novembre, que M. Chigi[2] a témoigné quelque bonne volonté pour moi. Je lui écris une lettre de compliment à laquelle vous mettrez la suscription comme il vous plaira. Par ce même avis, on m’a témoigné qu’il ne s’éloignerait pas de quelque gratification pour me servir. Ouvrez les yeux là-dessus et fort délicatement, car c’est un homme fort estimé, et, par cette raison, ce que l’on me mande sur ce sujet m’a surpris. Vous aurez vu par La Violette (le courrier extraordinaire) ce que j’ai fait pour de l’argent; sur quoi, je ne puis m’empêcher de vous dire que vous ne soyez pas si fut qu’à l’ordinaire, et que, sans raillerie, vous me désobligeriez sensiblement si vous ne vous servez de ce qui est à moi comme du vôtre propre. » Comme on le voit, le coadjuteur frappait à toutes les portes, même à celles qui ne devaient jamais s’ouvrir pour lui. Monsignor Chigi fut insensible à toutes ses offres et se contenta d’une simple bague qu’il aurait eu d’ailleurs mauvaise grâce de refuser. Quant à la princesse de Rossano et à la signora Olimpia, elles furent, comme on le pense bien, de plus facile composition.

Retz, dans ses Mémoires, raconte ainsi les premières démarches de l’abbé Charrier à Rome : « Il trouva, dit-il, la face de cette cour tout à fait changée par la retraite plutôt que par la disgrâce de la signora Olimpia, belle-sœur du pape. Innocent s’était laissé toucher à des manières de réprimandes que l’empereur, à l’instigation des jésuites, lui avait fait faire par son nonce à Vienne. Il ne voyait plus la signora, et il soulageait le cruel ennui que l’on a toujours cru qu’il en avait par des conversations assez fréquentes avec Mme la princesse de Rossano, femme de son neveu, qui, quoique très spirituelle, n’approchait pas du génie de la signora, mais qui en récompense était beaucoup plus jeune et beaucoup plus belle. Elle s’acquit effectivement du pouvoir sur son esprit... Ma nomination tomba justement dans le temps où la faveur de Mme la princesse de Rossano était la plus forte, et il parut en cette occasion que la fortune voulût réparer la perte que j’avais faite en la personne de

  1. Un banquier de Lyon.
  2. Fabio Chigi, le nouveau ministre du pape.