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quelques-uns de ses amis intimes, tels que MM. Daurat, Le Fèvre de Caumartin et Pinon du Martrai. Guy Joly, l’auteur des Mémoires, qui était alors secrétaire du coadjuteur et qui, de sa main, traduisait en chiffres toutes les lettres de celui-ci à l’abbé Charrier, désigne expressément ces personnes comme lui ayant prêté en cette circonstance plus de 300,000 livres. Il faut donc tenir pour suspecte l’insinuation du père Rapin, lorsqu’il prétend dans ses Mémoires que ce fut Port-Royal qui avança ces importantes sommes au coadjuteur. Voici en quels termes s’exprime Guy Joly sur le chapitre des sommes qui furent expédiées par Retz : « Il n’eut pas besoin, dit-il, d’envoyer beaucoup d’argent à Rome, si ce n’est pour quelques voyages de l’abbé Charrier, qu’il avait envoyé pour solliciter le chapeau, et pour quelques présens de bijoux à la princesse de Rossano, qui avait épousé le neveu du pape Innocent X. » Notons en passant que ce que dit Guy Joly des sommes que le coadjuteur eut alors en main se trouve vérifié par la correspondance même de Retz avec Charrier, et que son récit contredit les Mémoires de Retz lorsque celui-ci soutient qu’il n’envoya pas d’argent à Rome pour acheter le chapeau.

Dès que Retz fut en possession de ces sommes considérables, il expédia sur-le-champ à l’abbé Charrier courriers sur courriers pour lui porter, en même temps que ses nouvelles instructions, de nombreuses lettres de change, avec ordre de semer l’or à pleines mains, mais sur bonnes promesses étayées des garanties les plus solides. Retz savait parfaitement à quoi s’en tenir sur la puissance de l’or dans la cour de Rome, mais il ne voulait le répandre qu’à bonnes enseignes[1]. En même temps, il expédiait à l’abbé quantité de bijoux, de montres, de bagues enrichies de pierres précieuses, de coffrets, de rubans, d’éventails, etc., le tout destiné à la princesse de Rossano, à la signora Olimpia et autres belles dames qu’il supposait, à tort ou à raison, toutes puissantes dans le consistoire. Dans son impatience fiévreuse, tournée en véritable frénésie, vivant sans cesse dans la crainte du retour de Mazarin et d’une révocation, il passait les nuits et les jours à combiner de nouvelles ruses et de nouvelles manœuvres pour abréger les délais et hâter sa promotion. À l’abri d’un chiffre fort compliqué, composé de quatre alphabets de signes différens, de nombres ayant un sens convenu et de caractères sans aucun sens, sorte de chevaux de frise destinés à arrêter la lecture des déchiffreurs, il découvrait à l’abbé, avec le dernier

  1. Il n’était pas sans connaître ce dicton, qui depuis longtemps circulait en Italie :

    Chi va a Roma e porta un buon borsotto
    Diventa abbate o vescovo di botto.