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mais de peu de lumières, fut pendant longtemps l’instrument aveugle et inconscient de cette femme éhontée. Évêchés, abbayes, canonicats, dignités, gouvernemens ecclésiastiques, tout passait par les mains de l’avide signora, tout dépendait de son crédit, et malheur à qui se présentait sans une bourse bien garnie de pistoles. Cette mère de l’église d’un nouveau genre avait établi un tarif des offrandes qui devaient lui être faites ; elles s’élevaient à peu près au tiers des revenus des bénéfices. Encore fallait-il que la somme lui fût payée d’avance. Cecchini, ayant enfin ouvert les yeux, se plaignit amèrement au pape de ces criminels abus, et le pape, encore plus aveugle que ne l’avait été jusque-là Cecchini, révoqua le dataire sur les instances de la signora.

Olimpia s’était entendue secrètement avec le sous-dataire Mascambruni, « robin fourbe et madré qui avait hérité de la bibliothèque, des cliens et du nom d’un avocat consistorial[1]. » Cet homme, d’une perversité profonde et d’une habileté inouïe, fabriqua pendant plusieurs années, avec un art diabolique et sans que l’œil le plus exercé pût découvrir la fraude, de fausses bulles qu’il vendait à beaux deniers comptans au bénéfice de la signora. Elle en retira des monceaux d’or. Ces criminelles malversations ne furent découvertes que peu de temps avant la promotion du cardinal de Retz. Le pape, atteint de goutte et d’hydropisie, condamné à garder presque constamment le lit, était d’ailleurs à peu près hors d’état d’entrer dans le détail des actes de son pontificat. Dès que ces affreux secrets lui furent révélés, malgré les plus fortes considérations de famille, il n’hésita pas à frapper l’instrument de tant de crimes. Le 22 janvier 1652, peu de jours avant la promotion des cardinaux, parmi lesquels devait figurer le coadjuteur de Paris, il fit arrêter le sous-dataire, qui, lui aussi, devait être nommé cardinal dans cette même promotion, et il le livra à une cour ecclésiastique qui le condamna à mort. Mascambruni eut la tête tranchée le 15 avril suivant, sans que la signora, qui avait tout intérêt à ce que tant de crimes fussent ensevelis avec lui, fît le moindre effort pour le sauver. Nombre d’officiers de la daterie, qui n’avaient été que les agens dociles de Mascambruni et qui n’avaient tiré aucun profit de ces simonies, furent condamnés à une prison perpétuelle, et on les laissa pourrir dans des in-pace pour que le secret fût bien gardé. Les détails circonstanciés de cette horrible affaire sont racontés longuement dans la correspondance du bailli de Valençay, alors ambassadeur de France à Rome, ainsi que dans celle d’un autre agent français nommé Gueffier, qui résidait à Rome depuis le commencement

  1. Relation de Contarini, 1647.