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marquis de Châteauneuf, l’un des principaux frondeurs, était choisi comme premier ministre; les sceaux, enlevés pour la seconde fois au chancelier Séguier, étaient rendus au premier président Molé, C’était à l’insu de Condé que ce grave changement avait eu lieu. Le choix de Châteauneuf, qui lui était fort hostile, lui fit comprendre que la cour ne céderait sur aucun point à ses énormes exigences. Il en fut profondément ulcéré et quitta brusquement Paris, où il n’était plus en état de soutenir la lutte, pour se rendre en Guienne, afin d’y organiser la guerre civile (22 septembre 1651).

D’après les conseils du cabinet, il s’agissait d’aller l’attaquer au plus tôt, avant qu’il eût le temps de former une armée et de se mettre en état de défense. Afin de donner plus d’ardeur aux troupes, il fut résolu que le jeune roi et la reine suivraient l’expédition; mais, au dernier moment, un nouvel obstacle pouvait surgir. On savait que le coadjuteur n’était pas homme à laisser partir la cour sans qu’on lui eût donné des gages sérieux. N’avait-il pas déjà une fois, pendant les troubles, fait garder prisonniers dans Paris le jeune roi et sa mère?

A la fin de septembre, la reine le fît appeler au Palais-Royal. Il lui fut présenté par le duc d’Orléans, et, à la prière de ce prince, elle lui fît remettre par le jeune roi, en bonne et due forme, l’acte de sa nomination au cardinalat. Six jours après, le 27 septembre, la cour s’empressait de quitter Paris pour se rendre à Fontainebleau, sans que le coadjuteur, ébloui un instant par l’éclat de la pourpre, pût s’apercevoir alors que Mazarin, par cette habile manœuvre, restait désormais le maître du jeu. En effet, la majorité du roi proclamée, et ce prince et sa mère hors de Paris, il était évident que le parlement, ainsi que les frondeurs et leur chef, seraient dans peu de temps réduits à l’impuissance. C’est ce que Retz comprit, mais un peu trop tard, lorsqu’il n’y avait plus moyen de rétablir la partie. A plusieurs reprises, il déplore dans ses Mémoires cette faute capitale. Pour se justifier de la conduite ambiguë qu’il tint à partir de ce jour, il ne manque pas de nous dire que Mazarin et la reine avaient l’intention de le tromper dès le moment même où il reçut sa nomination au cardinalat.

« Vous ne serez pas surpris, nous dit-il, de ce qu’ils avaient dans l’âme, qui était une résolution bien formée de me jouer, de se servir de moi contre M. le prince, de me traverser sous main à Rome, de traîner la promotion et de trouver dans le chapitre des accidens de quoi la révoquer. » Les accusations portées par Retz contre Mazarin à cette date sont-elles fondées ou dénuées de vérité? Mazarin était-il de bonne foi et ne songeait-il pas à reprendre d’une main ce qu’il donnait de l’autre? Avait-il l’intention de se comporter