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plus mordantes. Les pamphlets et les bons mots pleuvaient sur lui dru et menu, ce qui lui déplaisait fort, car il avait la prétention de faire prendre tous ses rôles au sérieux. « A-t-on jamais vu un prêtre se mêler d’intrigues avec les femmes et quitter l’autel pour cajoler dans les ruelles de lit? disait un pamphlétaire. A-t-on jamais vu un archevêque prêcher dans les églises pour animer le peuple à la destruction de ses ennemis?.. » Qui ne connaît le mot si spirituel du président Molé en le voyant entrer au parlement un jeudi saint qu’il venait de présider à Notre-Dame à la cérémonie des saintes huiles? « Il vient, dit-il, de faire des huiles qui ne sont pas sans salpêtre. » Et celui du duc de Beaufort, s’écriant plaisamment à la vue du manche d’un poignard qui sortait de la soutane du factieux prélat : « Voici le bréviaire du coadjuteur ! » Qui ne sait le mot des Parisiens lorsque le régiment de Corinthe, levé par Retz et baptisé ainsi de son titre d’évêque, fut défait par les troupes du roi? Ils nommèrent fort spirituellement cet échec : la première aux Corinthiens. Le mot fit fortune et fut répété par tous les échos. Retz en fut blessé au vif, et ce qui le prouve, c’est qu’il n’en dit rien dans ses Mémoires, non plus que de tant d’autres plaisanteries de ce genre. Que dut-il penser du surnom de Pape des frondeurs que lui donna Saint-Simon, un petit-maître de son temps[1]? C’étaient là autant de pointes qui lui rappelaient sans cesse qu’il ne mêlait pas si bien les espèces qu’on ne fît très bien la distinction des unes et des autres.

Jean-Paul de Gondi se proposa deux buts principaux pendant la fronde, l’un d’être cardinal, l’autre premier ministre. Dans ses Mémoires, il avoue la première de ces prétentions, parce qu’elle a été couronnée de succès, mais il nie constamment la seconde pour s’épargner la honte d’un aveu trop pénible à son orgueil. Il a mis tant de soin à la couvrir d’un voile aux yeux de ses contemporains que nombre d’entre eux, parmi lesquels on est surpris de rencontrer La Rochefoucauld, l’ont cru sur parole et se sont imaginé qu’il n’eut aucun dessein formé d’arriver au pouvoir, qu’il ne conspira que pour le seul plaisir du jeu, que pour satisfaire sa vanité de chef de parti. Plus clairvoyant, Mazarin fut du très petit nombre de ceux auxquels Retz ne put en imposer sur ce point et qui pénétrèrent le plus avant dans les plis et les replis de sa pensée.

C’est à partir du moment où Retz eut l’espoir certain de succéder un jour à son oncle, Jean-François de Gondi, en qualité d’archevêque de Paris, qu’il donna un plein essor à son ambition. Deux de ses grands oncles, Henri et Pierre de Gondi, évêques de Paris tour

  1. Lettre de M. de Saint-Simon à M. de Chavigny, du 27 novembre 1649.