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du prince et de l’expulsion de Mazarin hors du royaume. C’est pour le ressaisir et pour tirer une éclatante vengeance de Condé, infidèle après sa prison à ses engagemens envers les frondeurs, qu’il offre de nouveau son concours à la régente, et que cette fois, en échange de la pourpre, il dispute si bravement le pavé de Paris au vainqueur de Rocroi et de Lens. Voilà fort en raccourci une indication des intrigues de Retz pour arracher à la reine sa nomination au cardinalat. Cette nomination, si ardemment convoitée et disputée, une fois conquise, une nouvelle campagne est entamée à Rome par le coadjuteur, afin d’obtenir du pape sa promotion.

C’est le récit de cette seconde phase de l’affaire du chapeau de Retz que je vais essayer de raconter à l’aide de documens inédits du plus haut intérêt. Jusqu’à présent, la plupart des combinaisons de cette savante partie d’échecs entre Retz et Mazarin étaient restées dans l’ombre. Du jeu des acteurs, on ne connaissait que les incidens principaux et le résultat final. Une précieuse découverte, celle de la correspondance chiffrée de Retz avec l’abbé Charrier, son représentant à Rome, qui roule tout entière sur cette affaire du chapeau[1], nous a permis, avec nombre de lettres inédites de Mazarin et de ses agens, de la reconstituer dans son intégrité. Grâce à ces documens, nous pourrons la suivre dans toutes ses péripéties, surprendre les secrets ressorts mis en œuvre par les deux rivaux, pénétrer avec eux dans leurs mines et contre-mines. Ce fut à l’aide d’incroyables manœuvres et avec une dextérité surprenante que Retz enleva le chapeau, en vrai Florentin qui n’a pas oublié sa patrie d’origine. Quant à Mazarin, on sait comment il prit sa revanche.


I.

Avant d’entamer le récit des intrigues de Retz à Rome pour y hâter sa promotion, il est nécessaire de dire en quelques mots comment et à quelle occasion il finit par obtenir de la reine sa nomination au cardinalat.

Malgré l’extrême penchant de Retz pour la galanterie, les femmes ne furent jamais pour lui qu’une distraction, un passe-temps. Sa passion dominante, bien qu’il ait constamment affirmé le contraire dans ses Mémoires, c’était l’ambition. Il devina de bonne heure qu’il ne pourrait arriver à la haute position qu’il rêvait, au cardinalat, au poste de premier ministre, par les voies ordinaires, en

  1. C’est dans les archives de la famille même de l’abbé Charrier que nous avons découvert les originaux de cette correspondance chiffrée, qui est devenue notre propriété.