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négociations embrouillées. M. le ministre de l’intérieur, qui a dans les mains la feuille des bénéfices électoraux, en sait aussi quelque chose.

Tant qu’il ne s’est agi que d’aller au combat contre ce qu’on appelait le radicalisme, contre le dernier ministère républicain, contre la chambre qu’on voulait dissoudre, tout a marché assez bien ; la coalition, victorieuse moins par elle-même que par l’intervention du chef de l’état, n’a pas eu l’occasion de se diviser. On a pu s’entendre encore dans la distribution des préfectures, des sous-préfectures, des justices de paix, bien que les prétentions contraires, les chocs d’influences aient commencé à se dessiner dans ce premier partage du butin. Aujourd’hui il s’agit d’une chose bien autrement grave, de la répartition des candidatures officielles que M. le ministre de l’intérieur est occupé à manipuler, et visiblement l’œuvre ne marche pas toute seule. Les récriminations éclatent, les notes amères sont échangées chaque jour entre les alliés. Bien entendu, ce ne sont point les scrupules constitutionnels qui sont une difficulté : là-dessus il y a une édifiante unanimité, il n’y a qu’une voix pour faire bon marché de la république constitutionnelle ou non constitutionnelle, conservatrice ou non conservatrice. Combien chacun des partis coalisés aura-t-il de candidatures, voilà la question ! Les légitimistes, toujours persuadés qu’ils sont prédestinés au salut de la France en 1880 ou avant, et que le 16 mai n’a été fait que pour faciliter la restauration de M. le comte de Chambord, les légitimistes trouvent que les bonapartistes sont de grands accapareurs avides et gênans, qu’ils veulent tout avoir ; ils portent aigrement et bruyamment la guerre dans le camp de l’empire. Les bonapartistes à leur tour rabrouent vertement les légitimistes, qu’ils renvoient à la sainte ampoule, en leur rappelant qu’ils sont profondément impopulaires, qu’ils n’ont aucune chance, qu’ils ne font que gâter les affaires du parti conservateur par leurs prétentions surannées. Au milieu de ces querelles intestines surviennent les orléanistes ralliés qui disent leur fait aux uns et aux autres, demandant la paix au moins jusqu’aux élections et se croyant assez habiles pour passer à travers les combattans. Il est vrai qu’ils sont parfois exposés à voir bonapartistes et légitimistes suspendre un moment leurs querelles pour se tourner contre l’orléanisme, accusé de faire son chemin à la sourdine. Le gouvernement ne dit mot encore, et il est probablement assez embarrassé, car dès qu’il aura fait la distribution de candidatures officielles, dès qu’il aura déclaré ses préférences, les mécontentemens sont inévitables. Légitimistes, cléricaux, bonapartistes, se tiendront infailliblement pour lésés ; on aura méconnu leurs titres, on n’aura pas assez fait pour eux, et, à entendre certaines menaces publiquement échangées, les scissions ne sont point impossibles. Si c’est ainsi avant la lutte, que serait-ce au lendemain d’une victoire ? Il n’y a en vérité qu’une défaite commune pour remettre d’accord ces étranges