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arrivé infailliblement, si les cavaliers suspects, au lieu de perdre la tête quand ils furent découverts et de s’enfuir par où ils étaient venus, avaient poussé une pointe hardie au milieu de la caballada et avaient essayé d’imprimer une direction commune aux élans désordonnés des chevaux. Cette réflexion, les Indiens qui avaient été les héros de l’aventure ne manquèrent pas de la faire quand ils eurent échappé, non sans peine, à la poursuite dont ils furent l’objet. Ils avaient à leurs trousses le régiment tout entier. En une minute, il avait été en ligne, monté à cru sur les chevaux de réserve, dont le galop furieux, mais régulier, sonnant sur le sol, formait comme l’accompagnement soutenu de vacarmes variés qui ébranlaient l’air. Les fuyards durent s’apercevoir en détalant devant lui qu’un peu plus de hardiesse eût assuré le succès de leur entreprise et leur eût fait courir en tout cas moins de dangers. Ils voulurent réparer leur maladresse le lendemain. Il en vint non plus une douzaine, mais cinquante ou soixante, et ils s’étaient munis de casseroles fêlées et de vieilles boîtes de fer-blanc pour les attacher à la queue de leurs chevaux de main au moment de les lâcher au milieu des nôtres. C’était ce qu’il aurait fallu faire la veille, avant que la mine ne fût éventée. Ces ingénieux engins de guerre furent laissés sur le champ de bataille comme pièces de conviction. Pendant la journée, on avait pris des mesures pour enfermer dorénavant, la nuit, tous les animaux dans l’enceinte du camp. On en avait fait déménager les hommes, qui, dormant vêtus et le rifle au poing, n’avaient pas besoin de remparts pour repousser une attaque. On avait de plus mis en embuscade sur la route probable des maraudeurs des pelotons d’infanterie cachés dans les herbes. Le premier sur lequel ils vinrent donner sans défiance les fit rétrograder par une décharge à bout portant. Ils essayèrent d’un détour qui les rejeta vers un autre. Comme à l’ordinaire, on ne retrouva pas de cadavre ; mais cinq ou six lances tombées prouvèrent que l’action avait été meurtrière. Un Indien qui lâche sa lance est bien malade. Pour qu’il tombe de cheval, il faut qu’il soit tué raide. Un prisonnier qu’on leur fit et qu’on fusilla cette nuit même nous apprit comment avait été organisée cette chasse aux chevaux, qui avait pour lui un dénoûment fatal.

Il fallait pourtant prendre un parti. Chaque jour diminuait nos moyens d’action, et nous allions bientôt nous trouver à pied, c’est-à-dire réduits à une parfaite impuissance. Les chevaux qui se couchaient dans le corral n’avaient plus la force de se relever. On en trouvait chaque matin sept ou huit en train d’expirer. On les traînait au dehors, en un point où les exhalaisons de tous ces corps en décomposition fussent moins gênantes. Il en mourut tellement que