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ce vaste lac ensoleillé, encadré de collines fuyantes, avaient de quoi contenter les plus difficiles. C’était une conquête digne de nous. Nous n’étions pas las d’admirer quand la trompette transmit cette série d’ordres familiers à notre oreille : Serrez la sangle ; — bridez ; — en selle ! — en route !

Les abords du lac, à mesure que nous en approchions, ne répondaient point à sa belle mine de loin. Nous ne tardâmes guère à tomber dans des fondrières inextricables. On y pataugea tout le jour. Les chevaux y entraient jusqu’au ventre, n’avançaient que par bonds et par saccades, s’abattaient souvent, ou, découragés, se couchaient. Les terres basses du désert réservent de ces désagréables surprises. Formées des détritus d’une végétation exubérante, elles n’ont encore subi aucun tassement et sont comme soufflées. Le passage fréquent d’animaux suffit à les comprimer et à les raffermir ; elles ne se gorgent plus d’eau à la moindre pluie. On passait au galop trois mois plus tard sur la route même que nous avions si péniblement tracée ce jour-là. Nous dûmes faire halte de bonne heure sur la rive orientale de Guamini sans avoir parcouru le trajet que nous nous étions fixé. Il nous restait à longer le lac jusqu’à rencontrer un ruisseau d’eau douce qui s’y jette et dont les bords nous avaient été désignés pour y établir le quartier-général de la section ouest de la nouvelle frontière.

Ce fut ce soir-là que nos vedettes signalèrent pour la première fois le voisinage des Indiens. Elles distinguaient des troupeaux dans un bas-fond à environ deux lieues. C’étaient des sujets de Catriel qui avaient établi là leur domicile. Le reste de la tribu s’étendait de Guamini à Carhué. Ces sauvages si méfians nous avaient laissé arriver pour ainsi dire sur eux sans soupçonner notre marche, imminente pourtant depuis quelques jours, ils le savaient. Décidément il n’y a que les armées régulières qui soient vigilantes. L’occasion était belle pour les surprendre. Les chevaux de troupe étaient sur les dents ; mais c’est l’usage en pareil cas de mettre en réquisition les chevaux des officiers. Ceux-ci profitent même de ce prétexte pour s’adjuger en toute occasion le plus de chevaux qu’ils peuvent. Il n’y a guère de chef de corps qui n’en ait une cinquantaine affectés uniquement à son service, et jusqu’au dernier sous-lieutenant tout le monde prend exemple sur le chef de corps. — Je les soigne bien, disent-ils, je les monte peu ; on sera heureux de les retrouver vigoureux et dispos un jour de bataille. — Ce raisonnement n’est pas absolument faux ; mais c’est une singulière manière de faire preuve de prévoyance. En tout cas, on avait de la sorte en ce moment assez de bons chevaux, et il restait assez de jour pour qu’on pût lancer une solide colonne d’attaque. On ne