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impulsion étrangère à toute idée commerciale, et se laissent égarer nous ne savons par quelles considérations purement politiques. Elles ne devraient pas cependant tuer la poule aux œufs d’or, on le leur a dit bien des fois. Sous le prétexte de remplir les caisses du trésor, elles ne devraient pas agir comme si elles voulaient les vider. Puis tout impôt établi sur des matières de fabrication ou de consommation est la source d’une immense fraude, et pervertit le sens moral de la nation : « voler l’état, se dit-on, n’est pas voler, » et c’est à qui dupera le fisc.

L’impôt sur les huiles et les savons, si malencontreusement voté par l’assemblée nationale en 1871, et point encore retiré malgré les réclamations incessantes de tous les fabricans de la France, offre à l’appui de ce que nous venons de dire un exemple frappant, que nous ne pouvons passer sous silence. Cet impôt, qui pèse sur le commerce et l’industrie de Marseille plus désastreusement encore que sur les autres places, ne rapporte à l’état qu’une somme moitié moindre de celle qu’il devrait lui rapporter, et ne donne en tout que 9 millions. C’est la fraude qui bénéficie du reste, et la fraude se pratique sur une très grande échelle. On a ainsi créé au négociant déloyal une situation exceptionnelle, on lui a ouvert une source de bénéfices scandaleux ; on a ruiné du même coup le négociant honnête, qui ne sait pas voler le fisc. Ne nous demandons pas si l’on a bien fait d’imposer l’huile qui forme l’éclairage des maisons, le savon qui est le premier élément de la propreté corporelle : on nous répondra que l’on peut critiquer ainsi tous les impôts, et qu’il ne saurait y avoir de bons impôts ; allons plus loin. Si Marseille reçoit aujourd’hui au-delà de 220,000 tonnes de graines oléagineuses venues de tous les points de l’univers, de l’Inde, du Levant, de la côte orientale et occidentale d’Afrique, c’est que le droit sur ces graines a été successivement abaissé, puis aboli. Il y a cinquante ans, il n’y avait à Marseille aucune fabrique d’huile de graines ; il y en a aujourd’hui quarante qui occupent 4,000 ouvriers, et il s’est créé là une industrie prospère dont on avait pris l’idée aux Anglais, et qui a été depuis imitée par l’Italie et par l’Espagne. Avec l’huile extraite des graines, on fait surtout du savon ; le résidu comprimé des graines forme ce qu’on nomme les tourteaux, qui sont utilement employés par l’agriculture, soit comme engrais du sol, soit comme nourriture du bétail. De là tout un mouvement, tout un échange commercial.

Les graines, l’huile, le savon, les tourteaux, ne sont pas seuls en jeu. Pour faire le savon, il faut de la soude ; pour obtenir la soude, de la chaux, du charbon, du sel marin, de l’acide sulfurique. Il faut extraire, produire, manipuler, transporter, expédier tout cela. Ce ne sont plus 4,000 ouvriers, ce sont 15,000 au