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Les troupes se retirèrent sur les positions qu’elles occupaient dans la matinée.

Ces trois journées, la dernière surtout, avaient été très meurtrières, du moins si l’on considère le nombre relativement minime des soldats engagés et le caractère de la lutte, lutte de montagnes, d’ordinaire assez peu sanglante. Les pertes des libéraux s’élevaient à 4,000 hommes : plusieurs corps de troupes avaient été littéralement décimés. Les carlistes, de leur côté, avaient eu plus de 2,000 hommes hors de combat dont leurs deux meilleurs généraux, Ollo et Radica, blessés à mort. On sait comment, un mois plus tard, l’arrivée de Concha avec 18,000 hommes et sa marche enveloppante par Sopuerta réparèrent glorieusement cet échec en délivrant Bilbao. Deux ans après, la vallée avait repris son air paisible et riant ; des légumes verts poussaient sur les tranchées comblées. Dans les endroits cependant où la lutte avait été la plus vive, à Pucheta, à Murrieta, la plupart des maisons attendaient encore d’être reconstruites ; le sol tout autour était hérissé d’éclats d’obus, et dominant la vallée, en face de l’ermitage de Santa-Juliana, lui aussi complètement ruiné, l’église de San-Pedro dressait dans l’air limpide sa masse informe, déchiquetée par la mitraille.

Bien longtemps déjà avant nous, cette même vallée avait vu de terribles scènes, et plus d’une fois des flots de sang s’étaient mélangés aux eaux froides du ruisseau. Là vécurent les Salazar, dont le nom revient si souvent dans l’histoire des guerres de partis, véritable famille de géans, robustes comme des chênes, braves comme des lions, avides comme des loups, toujours prêts à fondre de leur castel pour rompre une lance ou tenter un coup de main. En 1256, quittant Sopuerta où il se trouvait mal en sûreté, et fidèle au conseil que lui avait donné son vieux père de s’approcher de la mer autant qu’il pourrait, a car avec elle il trouverait toujours moyen de passer sa faim, » Juan Lopez de Salazar vint s’établir à Somorrostro en l’endroit qui prit le nom de port de San-Martin, parce que les eaux de la mer arrivaient alors jusque-là. Deux siècles plus tard, fier de sa richesse et de l’influence considérable dont il jouissait dans le Señorio, Lope Garcia de Salazar, le plus illustre de la race, fit reconstruire le château ; lui-même, à soixante-douze ans, après une vie de gloire et de hauts faits, y fut traîtreusement emprisonné par son propre fils Juan le More, et c’est alors que, pour chasser ses sombres pensées, il composa vers 1470 son livre, encore inédit, des « Adventures heureuses et contraires, » Libro de las buenas andanzas é fortunas, simple récit des événemens connus de lui ou accomplis sous ses yeux. Placé sur un léger renflement de terrain, non loin de la route, le château de San-Martin de Muñatones est un édifice des plus imposans. Il se compose de deux