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des collines vertes piquées de murs blancs et de toits bruns ; dans le bas, le cours du fleuve qui brille au soleil comme une longue coulée de métal en fusion, et plus près, tout au bord de l’eau, aussi pressées qu’un troupeau de brebis qui vont à l’abreuvoir, les mille maisons de Bilbao. Cette église, dont le clocher pour la seconde fois vient d’être démoli par les obus carlistes, est un lieu fameux de pèlerinage : placée sous l’invocation de Notre-Dame de l’Assomption, elle possède une image miraculeuse de la Vierge, très vénérée des matelots, et qui fut trouvée, dit-on, dans l’intérieur d’un vieux chêne, à la place même où s’élève le maître-autel.

Les légendes abondent dans le pays, écloses naturellement de l’inspiration populaire et de ce mélange d’imagination et de foi qui fait le fond du caractère basque. En voici une, toujours au sujet de l’église, et que je veux reproduire telle qu’on me l’a contée : « C’était vers le commencement du XVIe siècle ; on s’occupait de rebâtir le très ancien sanctuaire de Notre-Dame de Begoña, et la voûte ne couvrait encore que la seule partie de l’abside, quand un des ouvriers qui travaillait à la construction du temple eut l’idée de voler les bijoux de la Vierge : l’image de la madone était déjà placée sur l’autel. Une nuit, l’homme grimpa par une échelle jusqu’au haut du mur, et apercevant, à la sourde lueur de la lampe qu’il tenait à la main, l’éclat de l’or et des pierreries, il sentit grandir dans son cœur son criminel désir. Il descendit prudemment à l’intérieur de la nef, monta sur l’autel et commença par dépouiller la Vierge de tous ses bijoux ; mais au moment où il enlevait aussi la petite couronne d’or de l’enfant Jésus, la sainte Vierge lui saisit le bras comme pour l’arrêter. Épouvanté de ce prodige, il laissa là ce qu’il avait pris et renonça à son dessein ; déjà il était remonté sur le mur et s’apprêtait à partir, quand, à la vue des pierreries qui étincelaient plus que jamais dans l’obscurité, il se sentit mordu d’un regret, il s’accusa de fausse terreur, il se dit qu’il avait été le jouet d’une illusion, que la Vierge ne l’avait point saisi par le bras, que ses vêtemens sans doute s’étaient accrochés à l’un des bras de la statue ; il descendit de nouveau et accomplit son vol, à l’exception toutefois de la petite couronne d’or, qu’il n’osa prendre. Puis il se dirigea vers Bilbao, où il voulait rentrer ; mais, comme il arrivait à l’humilladero ou petit ermitage du Christ, un troupeau de boucs sortit à sa rencontre et lui barra le passage. Il se dirigea alors vers le bourg de Tránco, à l’ouest, et de tout côté il trouva un bois si touffu, que là encore il lui fut impossible de passer. Il monta au sommet de la cordillère d’Archanda, et à l’endroit dit Meazabal, qu’on appelle aujourd’hui Santo-Domingo, à cause d’un ermitage fondé par saint Vincent-Ferrer au XVe siècle, il vit venir au-devant