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yeux. Certes, nous aussi nous avons connu la guerre et ses horreurs ; j’ai vu à Paris même bien des gens que je respectais pleurer sur leurs espérances et leurs affections détruites ; nos collections, nos objets, d’art ont été pillés, nos livres lacérés, nos villas livrées aux flammes, tandis que ceux que nous aimions tombaient sous les balles et les obus de l’ennemi ; mais jusqu’à ce jour, non, jamais je n’ai rencontré un deuil plus poignant, un désespoir plus profond que celui de ce père, de cet artiste doublement victime de ses compatriotes, de ses compagnons d’autrefois !

Bilbao est de fait la ville la plus peuplée, la plus florissante de la province ; depuis un siècle et demi, la députation et les autorités supérieures y ont leur résidence, c’est chez elle que se trouvent les principaux monumens d’utilité publique : banque, hospices, écoles et collège. Néanmoins, en vertu du principe de l’égalité forale, qui ne reconnaît à aucune ville le titre-de capitale, politiquement parlant elle ne se distingue en rien de la moindre commune du Señorio, et, dans les juntes générales tenues à Guernica, elle n’a droit, elle aussi, qu’à deux représentans. Le territoire de la Vizcaye se divise, au point de vue administratif, en : 1 cité, Orduña ; 20 villes, dont Bilbao ; 88 anteiglesias, 5 vallées et 12 conseils. Antérieures à ! a fondation des villes, jouissant d’exemptions et de lois différentes, les anteiglesias sont proprement les localités où la population est moins nombreuse et plus dispersée, quoique plusieurs à la longue aient fini par prendre l’apparence de véritables villes. La coutume qu’avaient autrefois les habitans de se réunir les dimanches, après la grand’messe, devant l’église pour y traiter de leurs affaires particulières et de rédiger les accords qui s’y prenaient, en commençant toujours par les mots : Ante la iglesia de…, donna origine à ce nom bizarre. Dans une foule d’endroits, à Gatica, à Abadiano, existent encore, sous la galerie couverte de l’église, la table et le banc de pierre où s’asseyait le conseil. Les villes furent fondées successivement sur des terrains qui avaient appartenu aux anteiglesias ; pour favoriser leur développement, les rois leur faisaient sans cesse les concessions les plus larges. De là vint, au XVe siècle, un soulèvement furieux des communes rurales qui, bon gré, mal gré, les forcèrent à rentrer dans de plus étroites limites ; c’est ainsi que Bilbao est restée réduite au territoire qu’elle occupe aujourd’hui, serrée de tous côtés par ses trois voisines de Deusto, d’Abando et de Begoña. Celle-ci surtout, maîtresse des hauteurs qui à l’est dominent la ville, semble nourrir encore de vieilles rancunes. Du petit plateau qu’occupe l’église de Begoña, l’œil embrasse d’un même coup toute la vallée du Nervion ou Ibaizabal, « la large rivière, » pour parler comme les Basques ; à droite et à gauche, reculant par échelons,