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tiré par une paire de bœufs et composé de deux madriers parallèles que relient entre eux de courtes traverses : on l’appelle narria ; mais, comme le frottement du bois sur le pavé risquerait de l’enflammer, un petit baril, placé sur le devant de la machine, laisse tomber goutte à goutte l’eau dont il est rempli et qui sans cesse humecte les madriers. Les femmes, elles aussi, prennent part aux travaux du port : il semble même que les plus rudes leur soient réservés ; les unes, dans de grands paniers, transportent le charbon ou le minerai, les autres, coiffées d’un vaste chapeau de paille, une grosse corde passée en travers des reins, remorquent péniblement les bateaux. Vers le soir, à mesure que s’apaise le mouvement du port, commence une agitation d’un nouveau genre ; les promenades avoisinantes, celle de l’Arenal surtout, si ombreuse et si vaste, sont littéralement envahies par des bandes tapageuses de petites filles et de petits garçons. Que d’enfans ! Je ne me souviens pas d’en avoir jamais tant vu. Dans certaines provinces de l’intérieur, à Tolède par exemple, la vieille cité impériale, fauve amas de décombres d’où la vie semble bannie pour toujours, j’avais cherché en vain cette gaîté que répand dans les rues et sur les promenades la sortie des écoles ; les familles y sont stériles, les maisons sans enfans. Ici au contraire c’est une fécondité, une exubérance de sève qui vous jette dans les jambes à chaque pas une envolée de lutins frais et roses : tout ce petit monde crie, court, saute, se poursuit, tombe et se relève ; les rondes se forment, et les parties de paume s’organisent sous les yeux des parens, heureux de cette joie.

En raison même de sa position au centre d’une petite plaine dominée de trois côtés par de hautes montagnes, Bilbao en temps de guerre se trouve toujours exposée. Du mois de juin 1835 au mois de décembre 1836, assiégée à trois reprises par les armées du prétendant Carlos V, elle repoussa toutes les attaques avec un héroïsme qui lui valut du gouvernement de la reine Isabelle le titre de très noble, très loyale et invincible cité. De nos jours, les carlistes eussent gagné à sa possession, en même temps qu’une capitale de premier ordre et une base solide d’opérations, une garantie devenue nécessaire pour leurs emprunts à l’étranger. Le 29 décembre 1873, on sut à Bilbao que le passage du fleuve venait d’être coupé à quelque distance avec les chaînes d’un chemin de fer aérien qui servait naguère au transport du minerai ; depuis plusieurs mois déjà, la circulation était interrompue sur la voie ferrée. Sans perdre de temps, les carlistes ouvrirent un feu très vif sur Portugalete, qui, coupé lui-même de ses communications avec la mer, dut capituler ; deux détachemens de troupes, postés en observation entre Portugalete et Bilbao, eurent le même sort : le siège allait sérieusement commencer. Les fortifications, mises en état dès le début de l’été,